L'Amant (1992) de Jean-Jacques Annaud

par Selenie  -  8 Août 2022, 08:40  -  #Critiques de films

Ce projet est d'abord l'envie de travailler ensemble pour le producteur Claude Berri et Jean-Jacques Annaud, ce dernier ayant spécifié son "désir de traiter un sujet féminin". C'est le producteur qui propose ensuite d'adapter le roman "L'Amant" (1984) de Marguerite Duras, Prix Goncourt que n'avait pas encore lu le réalisateur qui avait enchaîné les tournages de "Le Nom de la Rose" (1986) et "L'Ours" (1988) tandis que Claude Berri signait le dyptique "Jean de Florette" et "Manon des Sources" (1986). Mais Annaud se sent pas près de s'attaquer à un tel monument littéraire et Berri se met à chercher une autre réalisateur pour finalement revenir vers Annaud qui accepte enfin. Le réalisateur-scénariste écrit le scénario avec Gérard Brach avec qui il venait de faire ses trois précédents films depuis "La Guerre du Feu" (1981), qui venait également de signer les Pagnol de Claude Berri. Malheureusement, à contrario, l'entente entre Annaud et la romancière est compliquée, Duras déclare : "il en parle bien, Annaud, du film. Mais c'est bizarre, il en parle comme si c'était son film." Ben oui, évidemment aurions-nous envie de dire, d'ailleurs Annaud citera en retour une phrase de Umberto Eco, auteur du livre 'Le Nom de la Rose" : "Il y a mon livre, il y aura ton film." La fracture est pourtant irrémédiable, et en réponse au film Marguerite Duras publie en 1991 sa propre version sous le titre "L'Amant de la Chine du Nord". Néanmoins, le film sort et reçoit un accueil chaleureux dont un vrai succès en salle avec plus de 3,1 millions d'entrées France et plusieurs nominations aux Césars dont une statuette pour la musique signée de Gabriel Yared qui avait composé auparavant entre autre pour "37°2 le Matin" (1986) de Jean-Jacques Beineix et "Camille Claudel" (1988) de Bruno Nuytten... Voix Off, une romancière âgée raconte son arrivée au Viêtnam alors qu'elle n'a que 15 ans et demi. Lycéenne au sein d'une famille aux relations conflictuelles, elle fait la rencontre d'un adulte, chinois de 36 ans de surcroît qui va bientôt l'initier aux plaisirs charnels. Bientôt il faut pourtant le présenter à sa famille sans pour autant tout dire sur la nature de leur relation... 

La jeune film, la jeune Marguerite donc est incarnée par Jane March alors jeune inconnue dont l'expérience se résume à poser pour des magazines pour ados remarquée par madame Laurence Annaud qui montre la couverture du magazine Just Seventeen. Elle devient une star avec ce film et tourne aussitôt après le sulfureux "Color of Night" (1994) de Richard Rush qui l'enferme malheureusement dans un genre rôle qui ne peut la faire évoluer, sa carrière se meurt avant même de prendre son envol. L'amant chinois est incarné par Tony Leung Ka-Fai (à ne pas confondre avec Tony Leung Chiu-Wai) vu dans "The Raid" (1991) et "L'Auberge du Dragon" (1992) tous deux de Tsui Hark et qui va devenir une des plus grandes stars du cinéma asiatique avec entre autre "Les Cendres du Temps" (1994) de Wong Kar-Wai et "Election" (2005) de Johnnie To. La mère est interprétée par Frédérique Meininger vue dans "Diabolo Menthe" (1977) de Diane Kurys, "Mille Milliards de Dollars" (1982) de Henri Verneuil ou "La Vie et Rien d'Autre" (1989) de Bertrand Tavernier, le frère aîné est joué par Arnaud Giovaninetti vu dans "Mima" (1990) de Philomène Esposito puis ensuite "Profil Bas" (1993) de Claude Zidi et "Les Enfants du Siècle" (1999) de Diane Kurys, le cadet est joué par un tout jeune Melvil Poupaud révélé par "La Ville des Pirates" (1984) et "L'Île au Trésor" (1985) tous deux de Raoul Ruiz mais qui ne sera pas réellement remarqué avant "Conte d'Eté" (1996) de Eric Rohmer. Citons encore Tania Torrens qui est surtout réputé dans le doublage en étant entre autre la voix de Sigourney Weaver mais qui apparaît de temps en temps devant la caméra entre "Benjamin ou les Mémoires d'un Puceau" (1968) de Michel Deville et "Laissez-Passer" (2002) de Bertrand Tavernier, puis enfin n'oublions pas la narratrice, alter ego de la romancière incarnée par Jeanne Moreau qui sera aussi Marguerite Duras dans le biopic "Cet Amour-Là" (2002) de Josée Dayan... La voix Off impose d'emblée une dimension à la fois littéraire et onirique, la voix de Jeanne Moreau, rauque et usée impose une nostalgie à la fois touchante et mélancolique. Mais dans ses premières minutes on remarque aussi le travail sur les décors et les costumes, comme ces souliers usés de l'adolescente comme pour montrer la position sociale déchue ; notons que les costumes sont signés de Yvonne Sassinot de Nesle déjà à l'oeuvre sur les films historiques "Danton" (1982) de Andrzej Wajda et "Chouans !" (1987) de Philippe De Broca.

Le film s'ouvre sur un bateau mais c'est surtout quand on est en ville qu'on ressent le Viêtnam d'alors, sa chaleur suintante, sa surpopulation, les différences sociales et les convenances le tout magnifiquement mis en lumière ; la photographie est signée de Robert Fraisse qui a travaillé sur "Histoire d'O" (1975) et "L'Amant de Lady Chatterley" (1981) tous deux de Just Jaeckin, et qui retrouvera Jean-Jacques Annaud pour "Sept Ans au Tibet" (1997) et "Stalingrad" (2001). L'image est somptueuse, les plans de toute beauté dans la moiteur du pays, avec les codes qui régissent le quotidien. Alors oui, la dimension érotique et sexuelle est atténuée vis à vis du roman, le côté sulfureux sent sans doute un peu moins le souffre le réalisateur préférant la sensualité et l'élégance. Le côté sulfureux reposant plus sur la différence d'âge, surtout aujourd'hui où certains ne manqueront pas de crier au scandale, à la pédophilie... etc... Alors même que ce n'est pas le sujet, Duras elle-même n'y prêterait pas attention. Le charme du Chinois /Leung face à la lolita du Mékong fonctionne à merveille, entre gêne et désir, éveil et exploration des sens sans omettre l'atmosphère singulière. Les relations intra-familiales ne sont pas délaissées et offrent la dramaturgie en parallèle d'une liaison qui lutte constamment sur les liens entre la chair et les sentiments. Jean-Jacques Annaud signe un drame où l'amour se montre et se ressent, avec un rythme lancinant, toujours sous tensions qui aurait pu sans doute être encore plus flamboyant, mais l'histoire est aussi belle qu'envoûtante, ça reste du beau et grand cinéma.

 

Note :      

 

18/20
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