Mort de Irene Papas
Après Jean-Luc Godard, nous apprenons la mort de l'actrice grecque Irene Papas ce jour du 14 septembre 2022 à l'âge de 93 ans.
Née en 1926 à Chiliomodi en Corinthie, la jeune Irini Lelekou commence dans la vie avec un soucis de date, si la plupart des sources indiquent une naissance au 3 septembre 1926, voir 9 mars, officiellement le registre de naissance indique 3 septembre 1929. Sa mère est institutrice et son père professeur de théâtre classique tandis qu'elle a trois soeurs. Son arrière-grand-père Stavros Lelekos est auteur de la première syntaxe de la langue grecque en 1881. Très jeune elle jouait à l'actrice dans de petits spectacles pour les autres camarades. Sa famille a déménagé à Athènes alors qu'elle a 7 ans. À 15 ans elle étudie à l'Ecole Royale d'Art Dramatique d'Athènes malgré l'opposition de ses parents qui refusent qu'elle soit actrice. Durant ses études elle rencontre Alkis Pappas, réalisateur qu'elle épouse. Après des études difficiles car elle trouvait le programme trop formel et démodé mais elle obtient son diplôme en 1948.
Sa vie change dès cette même année elle est remarquée par le cinéaste Alekos Sakellarios qui dira dans son autobiographie qu'elle lui semblait être une "Cariatide vivante". Il la prend sous son aile et la présente à une maison de production qui la fait tourner aussitôt dans le film "Anges Perdus" (1948 - ci-dessous) de Nikos Tsiforos, un mélo tourné alors en pleine guerre civile (1946-1949) qui dénonce la domination des nouveaux riches.
Mais la comédienne continue sa carrière sur les planches jouant dans des pièces de Ibsen, Shakespeare et des tragédies grecques classiques. Elle retourne pourtant au cinéma pour le film "Ville Morte" (1951 - ci-dessous) de Frixos Iliasis sur une sorte de "Roméo et Juliette" grecque. Le film est un succès qui est présenté au Festival de Cannes où elle est particulièrement marquée aussi bien pour sa performance que pour passer du bon temps avec le jeune playboy Karim Aga Khan IV futur imam des ismaéliens nizârites. Elle divorce en 1951 du réalisateur Alkis Pappas dont elle garde le nom tout en retirant un "p".
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Mais elle comprend que dans son pays elle demeure une comédienne élitiste qui ne lui permet pas de tourner comme elle l'entend. Elle part alors pour l'Italie où elle trouve aussitôt des rôles, d'abord des petits comme dans "Larmes d'Amour" (1953) de Raffaello Matarazzo ou "Le Secret de la Casbah" (1953) de Edoardo Anton et Ray Enright, puis grimpe rapidement l'échelle de l'affiche avec "Theodora, Impératrice de Byzance" (1954) de Riccardo Freda avec Gianna Maria Canale et Georges Marchal puis "Attila, Fléau de Dieu" (1954) de Pietro Francisci avec Sophia Loren et la star hollywoodienne Anthony Quinn avec qui elle devient amie.
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Ce dernier film, au casting international lui ouvre les portes de Hollywood. Elle traverse la Méditerranée et l'Atlantique pour jouer un rôle important dans un genre nouveau et typiquement américain, le western "La Loi de la Prairie" (1956 - ci-dessous) de Robert Wise avec la star James Cagney. Mais le rêve américain prend fin après un petit rôle dans "Les Grands de ce Monde" (1956) de Henry Koster et elle revient en Italie où l'accueil n'est pas plus couronné de succès avec un second rôle dans les films "Les Aventures des Trois Mousquetaires" (1957) de Joseph Lerner et sa suite "L'Épée Gascogne" (1957) de Hugo Fregonese.
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Elle reçoit alors des propositions de la Grèce ce qui lui permet de revenir dans son pays après plusieurs années. Chez elle elle obtient enfin des rôles principaux dans "Le Lac des Soupirs" (1959) de Grigoris Grigoriou, "Psit... les Filles" (1959) de Alkis Papas (son ex-mari) et "Bouboulina" (1959 - ci-dessous) de Kostas Andritsos.
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Sa carrière prend un tournant quand on lui propose un film hollywoodien, superproduction au sein d'un casting international avec le film de guerre "Les Canons de Navarone" (1961 - ci-dessous) de Jack Lee Thompson avec David Niven, Gregory Peck et Anthony Quinn qu'elle retrouve après "Attila...". Le film est un énorme succès au box-office dont la postérité assurera une place de choix. Elle connaît alors une vraie reconnaissance internationale qui lance réellement une carrière qui stagnait.
Elle retourne en Grèce auréolée de ce succès pour incarner des personnages mythiques du théâtre portés sur grand écran avec "Antigone" (1961) de Yorgos Tzavéllas et surtout "Electre" (1962) de Michel Cacoyannis, réalisateur qu'elle retrouve après le film hollywoodien "La Baie aux Emeraudes" (1964) de James Neilson pour le magnifique "Zorba le Grec" (1964 - ci-dessous) dans lequel elle retrouve une troisième fois son ami Anthony Quinn. Le film est un succès et reçoit un accueil critique excellent et mérité avec en prime 3 Oscars.
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Elle joue ensuite dans des rôles principaux dans des films très divers comme "Roger la Honte" (1966) de Riccardo Freda, "À Chacun son Dû" (1967) de Elio Petri, "Ecce Homo" (1968) de Bruno Gaburro, ou encore "Les Frères Siciliens" (1968) de Martin Ritt avec Kirk Douglas avant de connaître un nouveau succès avec l'épatant "Z" (1969 - ci-dessous) de Costa-Gravas avec Yves Montand et Jean-Louis Trintignant qui a pour contexte la Dictature des Colonels en Grèce qui touchait forcément l'actrice. Précisons que logiquement le tournage ne s'est pas déroulé en Grèce.
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Elle joue ensuite la reine Catherine d'Aragon dans le film britannique "Anne des Mille Jours" (1969) de Charles Jarrott face à Richard Burton et Genevieve Bujold, joue dans le polar "Meurtre par Interim" (1971 - ci-dessous) de Umberto Lenzi, retrouve son réalisateur fétiche pour "Les Troyennes" (1971) de Michel Cacoyannis qui est l'opus n°2 après "Electre" (1962), joue dans le film Giallo "La Longue Nuit de l'Exorcisme" (1972) de Lucio Fulci, retrouve Richard Burton alias Tito dans "La Cinquième Offensive" (1973) de Stipe Delic puis citons "La Bambina" (1974) de Alberto Lattuada.
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Elle retrouve encore Anthony Quinn pour la superproduction internationale "Le Message" (1976 - ci-dessous) de Moustapha Akkad sur la vie du prophète Mahomet et surtout clôt la trilogie "grecque" avec "Iphigénie" (1977) de Michel Cacoyannis.
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Elle retrouve le Maghreb avec une autre variation autour de "Roméo et Juliette" avec "Noces de Sang" (1977) de Souheil Ben Barka, puis tourne aux côtés de Gian Maria Volonte et Lea Massari dans "Le Christ s'est arrêté à Eboli" (1979) de Francisco Rosi, participe au film hollywoodien "Liés par le Sang" (1979 - ci-dessous) de Terence Young au sein d'un casting prestigieux de Audrey Hepburn à Omar Sharif en passant par James Mason ou Romy Schneider, puis revient en Italie pour le film d'horreur "Les Vierges Damnées" (1979) de Pier Carpi.
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Elle débute les années 80 avec la superproduction "Le Lion du Désert" (1981 - ci-dessous) de Moustapha Akkad qu'elle retrouve avec Anthony Quinn aux côtés aussi de Oliver Reed, Raf Vallone et Rod Steiger, sur la guerre entre l'Italie de Mussolini et les bédouins en Libye.
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L'actrice est toujours aussi prolifique et multiplie les expériences à travers les pays et les genres. Elle participe ainsi au film érotique (sans pour autant en être "active" !) "L'Assistente sociale tutta Pepe e Tutta Sale" (1981) de Nando Cicero, aux drames "La Ballade de Mamelouk" (1982) de Abdehafid Bouassisa, "Erendira" (1983) de Ruy Guerra et "Il Disertore" (1983) de Giuliana Berlinguer, puis le film sur la guerre "Afghanistan Pourquoi ?" (1984) de Abdellah Mesbahi.
Elle retrouve la Résistance 39-45 pour "The Assisi Underground" (1985) de Alexander Ramati avec James Mason et Maximilian Shell, joue dans la comédie policière américaine "Série Noire pour une Nuit Blanche" (1985) de John Landis avec Jeff Goldblum et Michelle Pfeiffer, aborde la dictature de Pinochet en Chili dans "Sweet Country" (1987 - ci-dessous) de Michel Cacoyannis et joue dans le drame sur une vengeance d'honneur dans "Chronique d'une Mort Annoncée" (1987) de Francesco Rosi avec Ruppert Everett, Ornella Muti et en retrouvant son partenaire Gian Maria Volonte.
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Elle retrouve en Grèce une énième fois son réalisateur fétiche pour le film choral "Sens Dessus Dessous" (1993) de Michel Cacoyannis (ci-dessous avec le réalisateur), tourne au Portugal dans "Party" (1996) de Manoel de Oliveira où elle joue une ancienne comédienne ayant joué Electre, joue dans le drame "Yerma" (1998) de Pilar Tavora qui peut être considéré une suite de "Noces de Sang" (1977), puis retrouve le Portugal pour "Inquiétude" (1998) de Manoel de Oliveira.
L'actrice tourne de moins en moins. Au 21ème siècle citons le film de guerre sentimentale "Capitaine Corelli" (2001 - ci-dessous) de John Madden avec Penelope Cruz et Nicolas Cage, retrouve le Portugal une ultime fois pour "Un Film Parlé" (2003) de Manoel de Oliveira avant de jouer dans son dernier film, "Ecuba" (2004) de Giuliana Berlinguer qu'elle retrouve après "Il Disertore" (1983).
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Irene Papas a également joué au théâtre, assez rarement mais régulièrement où elle a souvent été salué comme à à Broadway dans "Iphigénia in Aulis" (1968) et surtout "Médée" (1973). En 2008, la comédienne reçoit le Prix de Rome au théâtre de Ostia Antica, cérémonie durant laquelle elle déclare : "Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, je peux seulement dire qu'Athènes sera toujours ma mère, mais Rome est ma deuxième mère, par choix délibéré."
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Par là même, elle a tourné rarement pour la télévision, la première fois en 1958, la dernière en 2002, et dont on peut citer les téléfilms "La Valise en Carton" (1988) et "Les Cavaliers aux Yeux Verts" (1990).
Sans doute moins connu, Irene Papas a aussi chanté, d'abord en trio en 1959, en solo dès 1968 mais surtout en collaboration avec Georges Moustaki en 1970, sur l'album "666" de Aphrodite's Child en 1972 ou encore sur l'album "Odes" de Vangelis en 1979. Elle sort une compilation "Mikis Theodorakis" en 2005.
Irene Papas sera très active politiquement. Dès 1945 elle s'inscrit au Parti Communiste de Grèce qui sera pourtant illégal du rant la Dictature des Colonels. En 1967 elle appelle au "boycott culturel contre le Quatrième Reich" de la Dictature des Colonels ce qui l'oblige à s'exiler. Elle vivra essentiellement à New-York et en Italie. Elle reviendra très régulièrement en Grèce à la fin de la dictature en 1974, notamment dans sa maison familiale à Chiliomodi.
Outre son court mariage avec le réalisateur Alkis Pappas, l'actrice révélera dans un journal italien en 2004 qu'elle a eu une longue passion amoureuse secrète avec Marlon Brando qu'elle avait rencontré en 1954 à Rome. Elle a précisé qu'il était la "grande passion de sa vie". L'actrice n'aura jamais d'enfant.
Irene Papas, que les italiens surnommait "Bella Greca" ou "Irene Nostra" restera dans le monde l'actrice grecque la plus connue avec Melina Mercouri.
Au début des années 2000, l'actrice prend comme résidence principale sa maison familiale de Chiliomodi en Grèce. Elle est atteinte de la maladie d'Alzheimer à partir des années 2010-2011. Irene Papas meurt ce mercredi 14 septembre 2022 à l'âge de 93 ans (et non 96 !).