La Bête (2024) de Bertrand Bonello

par Selenie  -  8 Février 2024, 17:29  -  #Critiques de films

Nouveau film de Bertrand Bonello, réalisateur de "L'Apollonide : Souvenirs de la Maison Close" (2011), "Saint Laurent" (2014) ou son dernier en date "Zombi Child" (2019). Ce projet a été développé en parallèle d'une production concurrente qui a donné "La Bête dans la Jungle" (2023) de Patric Chiha, soit une adaptation libre de la nouvelle "La Bête dans la Jungle" (1903) de Henry James, auteur majeur déjà maintes fois porté sur grand écran. Cette oeuvre "illustre la vaine recherche des âmes qui n'arrivent pas à se comprendre et les décisions ou agissements de tout homme qui influeront sur sa destinée tout au long de son existence." Le réalisateur-scénariste co-écrit son scénario avec Guillaume Breaud auteur de films comme "Le Petit Lieutenant" (2004) de Xavier Beauvois ou "Bird People" (2014) de Pascale Ferran, puis avec Benjamin Charbit scénariste de "En Liberté !" (2017) de Pierre Salvadori, "La Nuit Venue" (2019) de Frédéric Farrucci ou encore "BAC Nord" (2021) de Cédric Jimenez... Dans un futur proche où règne l'intelligence artificielle, les émotions humaines sont devenues une menace. Pour s'en débarrasser, Gabrielle doit purifier son ADN en replongeant dans ses vies antérieures. Elle y retrouve Louis, son grand amour. Mais une peur l'envahit, le pressentiment qu'un catastrophe se prépare...

Gabrielle est incarnée par Léa Seydoux qui retrouve son réalisateur après "De la Guerre" (2008) et "Saint Laurent" (2014) et vue dernièrement dans "Les Crimes du Futur" (2022) de David Cronenberg et "Un Beau Matin" (2022) de Mia Hansen-Love après lequel elle retrouve l'actrice Kester Lovelace. Son premier amour est joué par George MacKay acteur britannique remarqué dans "Le Gang Kelly" (2019) de Justin Kurzel, "1917" (2019) de Sam Mendes ou "L'Etau de Munich" (2021) de Christian Schwochow. Citons ensuite Guslagie Malanda révélation du film "Saint-Omer" (2022) de Alice Diop, Dasha Nekrasova aperçue dans "Steps" (2017) de Fernando Sanchez et Pascual Sisto ou "Bad Behaviour" (2023) de Alice Englert, Elina Löwensohn qui retrouve Léa Seydoux et son réalisateur après "De la Guerre" (2008), vue tout récemment dans "Captives" (2024) de Arnaud des Pallières et qui retrouve aussi après "La Guerre est Déclarée" (2011) de et avec Valérie Donzelli son partenaire Laurent Lacotte qui jouait dans "L'Apollonide : Souvenirs de la Maison Close" (2011), Marta Hoskins aperçue dans "Madeleine Collins" (2021) de Antoine Barraud, puis Julia Faure aperçue dans "Le Daim" (2019) et "Fumer fait Tousser" (2022) tous deux de Quentin Dupieux et qui retrouve également Bonello après "Coma" (2022)... Le film s'ouvre sur un prologue déconcertant, comme une mise en abyme pure et primaire, où l'actrice est comme l'instrument acoustique du réalisateur, un stradivarius sans autre effet (littéralement) que le jeu de l'actrice. La suite dessine des univers aux environnements riches et denses, où Gabrielle va à l'insu de son plein gré revivre ses vies passées pour purifier son esprit des "affects" trop prononcés. En quelque sorte l'Intelligence Artificielle met tout en oeuvre pour aseptiser les émotions humaines, les rendent donc plus "mécaniques". Dans ce futur proche, Gabrielle/Seydoux est a priori une des rares à avoir peur de perdre ses émotions, de devenir vide mais accepte bon gré mal gré de purifier son ADN des expériences passées qui auraient façonnées son caractère et ses émotions. Le rythme est particulièrement monocorde et lancinant, tandis que le climax et les décors sont en grande partie austère et froid ce qui rend tout assez clinique ce qui accentue les émotions pourtant contrôlées de Gabrielle. Des émotions qu'elle doit maîtrisée, jusqu'à cette séquence où elle doit encore passer un cap : "il y a forcément un risque, mais prendre un risque c'est beau, c'est fort, c'est beau".

Mais on constate que le voyage dans le passé se résume à deux époques, vers fin 19ème et 2024, et que ces deux époques scindent le film en deux parties, entrecoupées sur quelques passages du présent (donc le futur proche) où Gabrielle se livre à l'expérimentation pat l'IA de sa purification de son ADN. On est donc un peu déçu de cette exploration de "uniquement" deux vies antérieures. La fin 19ème agit avec charme, la reconstitution historique offre son élégance. La mise en scène de Bonello ne l'est pas moins, inventive elle offre plusieurs scènes et plans de toute beauté. Le 21ème est moins séduisant, plus froid et clinique et on a la sensation que les redites et/ou allers/retours dans le temps sont redondants et parfois trop tirés en longueur. Dans cette seconde partie la dimension métaphysique s'impose plus violemment et impose par là même une complexité générale qui finit par lasser. Finalement on délaisse le récit, le scénario devient trop abstrait, on surnage que grâce à la réalisation de Bonello, inventive et visuellement somptueuse bien enveloppée par une musique toujours soignée et cohérente, aussi et surtout par la performance de Léa Seydoux, sublimissime et épatante qui offre une multitude de nuances émotionnelles qui subjugue et fascine. Le plus décevant arrive à la toute fin, l'originalité du générique de fin est d'une frustration glaçante, et si vous jouez le jeu vous n'y verrez qu'une simple arnaque façon hameçonnage. On frôle le scandale qui peut s'atténuer si on commence à philosopher sur la déclaration du réalisateur : "Ici nous sommes dans un monde où les affects ont été bannis, il est donc logique qu'ils le soient aussi du générique. Seule Gabrielle est encore capable de ressentir. Ca la rend encore plus seule, je trouve." En conclusion, un drame d'anticipation singulier unique, presque un OFNI (Objet Filmique Non Identifié) qui laisse un peu pantois ou perplexe comme une expérience nouvelle, qui reste un peu vain objectivement mais plusieurs scènes sont d'une beauté à couper le souffle, et Léa Seydoux est définitivement une des plus grandes... 

 

Note :                 

14/20
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :