Lawrence d'Arabie (1962) de David Lean

par Selenie  -  26 Février 2024, 11:54  -  #Critiques de films

L'idée d'un biopic sur T.E. Lawrence (Tout savoir ICI !) est énoncé la première fois par le producteur-réalisateur Alexander Korda, mais le principal intéressé encore en vie n'est pas du tout partant. À la mort de Lawrence le cinéaste relance le projet mais est cette fois empêché par la situation géo-politique pré-Seconde Guerre Mondiale. Le grand patron de la Columbia Harry Cohn récupère le projet au début des années 50 et le propose d'abord à Michael Powell qui le refuse. David Lean, réalisateur de "Les Grandes Espérances" (14946) ou "Oliver Twist" (1948), accepte surtout qu'il vient de recevoir au même moment une proposition d'adaptation théâtrale sur le même sujet par l'auteur Terence Rattigan. Le projet est une nouvelle fois repoussée à la mort de Harry Cohn en 1958. David Lean s'associe alors avec le producteur Sam Spiegel avec qui il vient de connaître un des plus fameux succès du Septième Art avec "Le Pont de la Rivière Kwaï" (1957) et ses 7 Oscars. Les deux hommes convainquent Arnold Lawrence, frère du héros, de leur vendre les droits du livre "Les Sept Piliers de la Sagesse" (1928) de T.E. Lawrence avec pour condition de lui présenter le scénario final avant accord définitif. Les deux co-producteurs font naturellement appel à leur scénariste de "Le Pont de la Rivière Kwaï" (1957), Michael Wilson qui avait d'ailleurs écrit dans l'ombre car listé sur la Liste Noire du Maccarthysme est déjà un scénariste réputé grâce entre autre à son travail sur les chefs d'oeuvre "La Vie est Belle" (1946) de Frank Capra et "Une Place au Soleil" (1951) de George Stevens. Mais après une année de travail Lean lui reproche de ne pas avoir romancé certains aspects ambigus du personnage comme son masochisme, son homosexualité ou son manque de scrupule, l'accord définitif nécessaire du frère a sans nul doute joué dans cette décision. Le scénariste refusant de modifier son scénario quitte le projet. Le nouveau scénariste engagé est Robert Bolt connu jusqu'ici comme auteur de pièce de théâtre dont "Un Homme pour l'Éternité" (1960) qui sera porté sur grand écran en 1966 par Fred Zinnemann. Il remanie le scénario en gardant une partie du travail original de son confrère. Cette fois le travail plait à David Lean au point que les deux hommes retravailleront ensemble pour "Docteur Jivago" (1965) et "La Fille de Ryan" (1970) et même "Le Bounty" (1984) de Roger Donaldson qui remplacera Lean après son départ pour diverses raisons de temps et de planning. Le film dure 3h38, et 3h48 dans sa version Director's Cut en 1989, puis 3h47 (?!) dans sa version restaurée de 2012.

Le film est doté d'un budget faramineux de 15 millions de dollars, soit beaucoup plus que l'autre superproduction historique de l'époque, "Le Jour le plus Long" (1962) et ses 10 millions. Heureusement le succès est au rendez-vous avec plus de 70 millions au box-office Monde dont plus de 5,7 millions en entrées France. Le film est également multi-primé dont 7 Oscars 1963 dont le Meilleur Film et le Meilleur réalisateur. Notons que le Directeur Photo Freddie Young et le compositeur Maurice Jarre reçoivent leur premier Oscar et en recevront encore deux chacun avec les derniers films de David Lean... 1916, le jeune officier britannique T.E. Lawrence est chargé d'enquêter sur les révoltes arabes contre l'occupant ottoman. Ces derniers étant allié de l'Allemagne l'empire britannique espère peut-être se servir de cette révolte. T.E. Lawrence gagne la confiance des arabes et finit par devenir un des principaux instigateurs de la révolte... Pour le rôle-titre, le producteur-réalisateur souhaitait Albert Finney finalement trouvé trop jeune, puis Marlon Brando mais il préféra joué dans "Les Révoltés du Bounty" (1962) de Lewis Milestone, ironie du sort puisque des années plus tard Lean tentera une nouvelle adaptation de cette histoire. Finalement, c'est l'actrice Katherine Hepburn qui conseilla à Sam Spiegel, également producteur de son film "Soudain l'Été Dernier" (1959) de J.L. Mankiewicz, de choisir l'acteur Peter O'Toole. D'abord acteur de théâtre il vient tout juste de débuter au cinéma, David Lean le choisit effectivement après avoir vu "L'Enlèvement de David Balfour" (1960) de Robert Stevenson. L'acteur devient une star grâce à ce rôle et d'ailleurs pourra donner la réplique à Katherine Hepburn dans "Le Lion en Hiver" (1968) de Anthony Harvey. Citons ensuite Jack Hawkins remarqué dans les peplums "La Terre des Pharaons" (1955) de Howard Hawks et "Ben-Hur" (1959)  de William Wyler qui retrouvera Peter O'Toole dans "Lord Jim" (1965) de Richard Brooks et qui retrouve après "Le Pont de la Rivière Kwaï" (1957) son, réalisateur et son partenaire Alec Guinness acteur fétiche de David Lean depuis "Les Grandes Espérances" (1946) jusqu'à "La Route des Indes" (1984) en passant évidemment par "Docteur Jivago" (1965) dans lequel il retrouvera avec entre temps "La Chute de l'Empire Romain" (1964) de Anthony Mann l'acteur égyptien Omar Sharif, acteur alors connu que dans son pays qui va devenir une star oscarisé grâce à ce rôle et qui va ensuite retrouver Jack Hawkins dans "Opération Opium" (1966) de Terence Young ou O'Toole dans "La Nuit des Généraux" (1967) de Anatole Litvak. Citons encore Anthony Quinn qui retrouve aussi O'Toole après "Les Dents du Diable" (1960) de Nicholas Ray, il retrouve après "La Charge Fantastique" (1941) de Raoul Walsh et "Barabass" (1962) de Richard Fleischer son partenaire Arthur Kennedy, puis retrouve après "Les Canons de Navarone" (1961) de Jack Lee Thompson l'acteur Anthony Quayle dont le rôle le plus important reste dans "L'Incompris" (1966) de Luigi Comencini et qui retrouve ou retrouvera plusieurs acteurs dans "La Chute de l'Empire Romain" (1964), "Opération Opium" (1966), "L'Or de McKenna" (1969) de Jack Lee Thompson avec Omar Sharif ou encore "La Bataille du Rio de la Plata" (1956) du duo Powell-Pressburger avec Jack Gwillim qui retrouvera O'Toole dans "Casino Royale" (1967), et retrouve après "Aux Frontières des Indes" (1959) de Jack Lee Thompson l'acteur indien I.S. Johar et le britannique Howard Marion-Crawford qui retrouvera dans "La Charge de la Brigade Légère" (1968) de Tony Richardson son compatriote Donald Wolfit lui-même retrouvera Peter O'Toole dans "Becket" (1964) de Peter Glenville.

Et pour finir on note le casting international avec le pakistanais Zia Mohyeddin vu ensuite dans "Khartoum" (1966) de Basil Dearden ou "Ashanti" (1979) de Richard Fleischer où il retrouvera Omar Sharif, le portoricain José Ferrer vu dans "Ouragan sur le Cain" (1954) de Edward Dmytryk, "Fedora" (1978) de Billy Wilder ou "Dune" (1984) de David Lynch, le britannique Claude Rains vu dans de nombreux chefs d'oeuvres dont "Casablanca" (1942) de Michael Curtiz ou "Les Enchaînés" (1946) de Alfred Hitchcock, puis enfin le franco-égyptien vu dans "Trapèze" (1956) de Carol Reed, "Peau d'Espion" (1967) de Edouard Molinaro ou "Adieu Bonaparte" (1985) de Youssef Chahine... Notons qu'il n'y a aucun rôle féminin dans ce film, uniquement quelques figurantes ce qui doit forcément irriter les féministes d'aujourd'hui... Pour l'anecdote, précisons qu'une partie du film a été tourné dans le désert d'Almeria en Espagne où ont été planté des palmiers qui sont restés après la fin du tournage. Par la suite cette zone a été nommé l'Oasis qui servira à de nombreux autres tournages essentiellement des westerns spaghettis dont "Et pour Quelques Dollars de Plus" (1965) de Sergio Leone qui comporte précisément une scène avec ces palmiers. D'emblée on remarque surtout le magnétisme de l'acteur Peter O'Toole qui subjugue par ses yeux bleus acier qui sont particulièrement mis en valeur par le Chef opérateur Freddie Young. La photographie du film est d'ailleurs vraiment sublime mettant en valeur la majesté du désert dans des plans grandioses. L'ampleur de l'espace et de la singularité des lieux sont parfaitement mises en avant. Niveau historique le film reste passionnant, et vu la complexité des rapports de force en présence le scénario reste judicieusement vague pour se focaliser sur le personnage lui-même et sa propre complexité. D'ailleurs c'est justement toute l'ambiguité de T.E. Lawrence/O'Toole qui a divisé et on constate donc que malgré le changement de scénariste le personnage est bel et bien montré dans ses travers. L'homosexualité est sous-jacente, son masochisme est bien en filigrane, son côté mégalo n'est pas feint, le film ne cache donc pas la face sombre du héros et si le film ne s'y confronte pas frontalement il faut aussi se rappeler qu'on est au début des années 60 et, qu'aujourd'hui, la finesse de traitement n'est pas moins efficace. Le scénariste Robert Bolt rappelle : "Lorsque les hommes font la guerre, leurs plus grandes qualités se retournent contre eux. Leurs vertus sont mises au service de la destruction et du carnage. En temps de guerre, nous n'avons pas besoin de chercher un vilain, les héros suffisent..." 

Lawrence est un personnage brillant ce la ne fait aucun doute mais il est aussi controversé. Lawrence va devenir un leader mais va se retrouver aussi face à la complexité d'une situation géo-politique qui va le dépasser. Précisons que tous les personnages du film ont bel et bien existé à l'exception notable du journaliste américain (joué par Arthur Kennedy). Le film doit beaucoup à la réalisation, David Lean réussit à un parallèle narratif fascinant entre la solitude d'un homme dans la foule et la multitude de paramètres humains et stratégiques. Le réalisateur offre des plans ou scènes devenues mythiques comme Lawrence seul dans le désert à dos de dromadaire, le visage en sueur du héros venant d'être torturé ou la bataille de Damas et ses 2000 cavaliers (prêtés par l'armée marocaine). David Lean a aussi choisi une petite originalité, la majorité des mouvements de caméra va de gauche à droite, un choix que le cinéaste explique par "la volonté d'insister un peu plus sur la notion de voyage". Le film se permet une durée de près de 4h qui passe vite malgré une rythme maîtrisé, un récit qui prend son temps, alliant poésie du désert, égo des hommes et géo-politique en temps de guerre. Le film est un succès certain, qui entre dans la postérité des plus grands films de l'Histoire, qui propulse Peter O'Toole et Omar Sharif au Panthéon des légendes du Septième Art. Le film est élu en 2004 après un sondage du Sunday Telegraph comme le "meilleur film britannique de tous les temps". Un chef d'oeuvre à voir, à revoir et à conseiller. 

 

Note :                 

19/20
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