L'Événement (2021) de Audrey Diwan

par Selenie  -  25 Novembre 2021, 16:25  -  #Critiques de films

2nd film de la journaliste-romancière Audrey Diwan après "Mais vous êtes Fous" (2019), mais également après avoir signé plusieurs scénarios notamment pour les films de Cédric Jimenez dont le récent "BAC Nord" (2021). Pour ce second film, la réalisatrice-scénariste adapte le roman biographique éponyme (2000) de Annie Ernaux et pour lequel la cinéaste a désiré travailler en étroite collaboration avec l'auteure : "Quand Annie Ernaux a évoqué le moment précis de l'avortement, les larmes lui sont montées aux yeux, vestiges de ce que la société a imposé à la jeune fille qu'elle était. J'étais troublée par la vivacité de cette douleur. J'y ai souvent pensé en écrivant." La réalisatrice-scénariste précise avoir fait lire à Anne Ernaux chaque nouvelle version du scénario lors du processus d'écriture. Un scénario qu'elle co-signe avec Marcia Romano, scénariste fétiche de Xavier Giannolli et, chose rare, qui est également crédité aux scénarios de deux autres films réalisés par deux autres femmes et qui sortent simultanément avec "Suprêmes" (2021) de Audrey Estrougo et "De son Vivant" (2021) de Emmanuelle Bercot. En lice pour les Oscars pour représenter la France c'est finalement "Titane" (2021) de Julia Ducournau qui est choisi, mais Audrey Diwan peut se consoler en étant lauréate du Lion d'Or à la Mostra de Venise 2021, succédant ainsi au "Nomadland" (2020) de Chloé Zhao... 1963, Anne est une étudiante brillante et rêve d'un avenir qui lui fera quitter une origine modeste. Malheureusement elle tombe enceinte et se retrouve confrontée à une grossesse non désirée dans une France où l'avortement est illégale et considérée comme immorale. Elle doit alors faire des choix tandis que les semaines passent et les examens scolaires approchent aussi...

La jeune Anne est incarnée par la jolie Anamaria Vartolomei révélation du film My Little Princess" (2011) de Eva Ionesco et vue depuis entre autre dans "L'Echange des Princesses" (2017) de Marc Dugain et "Just Kids" (2020) de Christophe Blanc, deux films après lesquels elle retrouve son partenaire Kacey Mottet-Klein. Sa maman est interprétée par Sandrine Bonnaire vue dernièrement dans "Trois Jours et Une Vie" (2019) de Nicolas Boukhrief et "Voir le Jour" (2020) de Marion Laine. Parmi les amies et étudiantes proches de Anne citons Luana Bajrami vue dans "L'Heure de la Sortie" (2018) de Sébastien Marnier et "Les Deux Alfred" (2021) de et avec Bruno Podalydès, Alice de Lencquesaing vue récemment dans "Chacun chez Soi" (2021) de Michèle Laroque, Louise Orry-Diquero qui retrouve Sandrine Bonnaire après "Un Coeur Simple" (2008) de Marion Laine, Julien Frison qui retrouve après "L'Amant d'un Jour" (2017) de Philippe Garrel sa partenaire Louise Chevillotte vue aussi dans "Le Sel des Larmes" (2020) de Garrel également et dans "Benedetta" (2021) de Paul Verhoeven. Côté "adulte", citons un médecin joué par Fabrizio Rongione acteur fétiche chez les frères Dardennes dans 6 de leurs films de "Rosetta" (1999) à "La Fille Inconnue" (2016) en passant par "Deux Jours, Une Nuit" (2014), un prof joué par Pio Marmaï omniprésent cette année après "Comment je suis devenu Super-Héros" (2021) de Douglas Attal, "Médecin de Nuit" (2021) de Elie Wajeman et "La Fracture" (2021) de Catherine Corsini, puis l'avorteuse jouée par Anna Mouglalis qu'on n'avait pas vu depuis "La Femme la plus Assassinée du Monde" (2018) de Franck Ribière et "My Little One" (2019) de Julie Gilbert-Frédéric Choffat... Le film (histoire vraie rappelons-le) débute alors qu'on a déjà les tenants et aboutissants, à savoir l'issue même du processus vers l'avortement. S'il le sujet est aussi délicat que polémique (encore !), y instiller un minimum de suspense est une gageure pour la réalisatrice comme elle le dit elle-même : "traiter ce suspense intime qui croît tout au long du récit. Les jours qui passent, l'horizon qui rétrécit et le corps comme une prison." Mais malheureusement Audrey Diwan insiste sur deux points qui ne fonctionnent pas franchement.

La cinéaste n'a cessé d'insister sur l'autre partie qui lui importe, plus que la question de l'avortement : "il y a deux dimensions fondamentales pour moi, qui sont évidemment l'histoire de l'avortement, mais aussi celle du désir (...) l'un ne vas pas sans l'autre..." Outre un suspense assez superficiel, il y a donc la volonté de lier la question du désir, et sur ce point on est un peu perplexe. Désir et avortement reste plutôt antagoniste, difficile de lier les deux expériences. Mais surtout le désir reste surtout lié au plaisir, au bonheur qu'on ne ressent jamais dans le film. Que ce soit en famille (à une ou deux nuances près), entre amis ou en soirée  ou avec un homme les filles ne semblent jamais franchement heureuses ou même insouciantes. Ca manque cruellement ! Désir et avortement ne sont alors uni que par une certaine idée de liberté, ce qui en 1963 demeure sujet à caution. Donc la thématique du désir reste trop sous-exploité, reste alors que le drame de l'avortement et sur ce point Audrey Diwan est dans le juste, l'authentique, l'humain dans un récit porté par une actrice éblouissante, Anamaria Vartolomei offre une des performances les plus fortes de l'année. La mise en scène est au service de son personnage central, le film est ainsi filmé en format 1.37 pour se concentrer uniquement sur son personnage et laisser l'arrière-plan juste en filigrane comme l'avait fait Xavier Dolan pour son excellent "Mommy" (2014), la réalisatrice favorise le plan rapproché pour être au plus près de son personnage. Le film de l'événement (en considérant les antagonismes de nombre, de volonté, de maturité, de décisions et de choix... etc...) pourrait être considéré comme l'anti-thèse au "17 Filles" (2015) des soeurs Coulin. L'autre excellent point est de ne pas avoir chercher à choquer tout en montrant toute la démarche vers un long moment de souffrance, mais aussi vers une porte vers une liberté et une vie à venir. Audrey Diwan signe un film beau et tragique, au scénario aussi ludique qu'intelligent, porté par une actrice magnifique, il est dommage que la dimension du désir soit restée lettre morte et que l'émotion soit figée uniquement sur le drame.

 

Note :            

 

14/20
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V
Je me disais bien que tu en parlerais aussi. Je comprends tes réticences sur la notion de désir, qui n'apparaît que dans les dialogues, peut-être pour renforcer l'idée de tabou qui entoure le sujet de l'avortement (et donc de l'émancipation corporelle). Mais ton dernier paragraphe confirme mon opinion d'une oeuvre puissante portée par une actrice éblouissante et courageuse.
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