La Place d'une Autre (2022) de Aurélia Georges
Après deux longs métrages de fiction restés confidentiels "L'Homme qui Marche" (2008) et "La fille et le Fleuve" 52014) voici le troisième film de Aurelia Georges, ex de la Fémis qui semble soudain d'orienter vers un cinéma mais auteuriste en adaptant le roman "The New Magdalen" (1873) de Wilkie Collins, auteur très populaire à l'époque et ami de Charles Dickens. La réalisatrice-scénariste indique : "J'avais envie d'enrichir ce côté intérieur, le réhausser par des gestes ou figures relevant du film social ou du suspense. Je trouvais séduisante l'idée de faire un film qui traite de questions morales sous l'angle du suspense : qu'est-ce que la place qui nous est assignée ? La question du mérite est-elle importante ? Que signifie de mentir à ceux qui nous aiment et qu'on aime ? Est-ce qu'on peut écraser l'autre pour sa sauver soi-même ? Qu'est-ce que la dignité ?" La cinéaste co-écrit le scénario avec Maud Ameline scénariste déjà expérimenté à laquelle on doit les scénarios de films aussi variés que "Camille Redouble" (2011) de Noémie Lvovsky, "Si j'étais un Homme" (2017) de Audrey Dana ou "Un Divan à Tunis" (2017) de Manele Labidi...
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Nélie a échappé à une existence misérable en devenant infirmière sur le front en 1914. Un jour, elle a l'opportunité de prendre l'identité de Rose qu'elle a vu mourir et qui semblait promise à un avenir plus radieux. Ainsi, elle se fait désormais passer pour Rose et se sert d'une lettre pour se faire engager comme lectrice chez une riche veuve. Le mensonge fonctionne au-delà de toute espérance, au début... Nélie est incarnée par Lyna Khoudri, jolie révélation de ces dernières années surtout remarquée avec "Papicha" (2019) de Mounia Meddour et vue récemment dans "The French Dispatch" (2021) de Wes Anderson et "Haute Couture" (2021) de Sylvie Ohayon. La riche veuve est interprétée par Sabine Azéma qu'on n'avait pas vue depuis "Tanguy, le Retour" (2019) suite du culte "Tanguy" (2001) tous deux de Etienne Chatiliez. Rose est jouée par Maud Wyler remarquée la première fois comme la fille de "Louise Wimmer" (2011) de Cyril Mennegun et vue depuis surtout dans "La Lutte des Classes" (2019) de Michel Leclerc et "Alice et le Maire" (2019) de Nicolas Pariser. Aux côtés de ces jeunes femmes citons Laurent Poitrenaux vu récemment dans "Le Ciel étoilé Au-Dessus de ma Tête" (2018) de Ilan Klipper et "Doubles Vies" (2019) de Olivier Assayas, Didier Brice vu dans "Fourmi" (2019) de Julien Rappeneau et "La Troisième Guerre" (2021) de Giovanni Aloi, puis Olivier Broche vu dans "Les Parfums" (2020) de Grégory Magne et "La Pièce Rapportée" (2021) de Antonin Peretjatko... Sur la question de l'usurpation d'identité le cinéma a depuis toujours été très friand de ces histoires souvent hallucinantes, extraordinaires mais vraies, on pense au très français "Le Retour de Martin Guerre" (1982) de Daniel Vigne, son remake américain "Sommersby" (1993) de Jon Amiel et plus récemment au sublime "The Captain - l'Usurpateur" (2017) de Robert Schwentke et au très réussi "La Communion" (2020) de Jan Komasa. Ici le film pêche justement par ce que Aurélie Georges et Maud Ameline ont voulu éviter : "Que l'on puisse ressentir de l'empathie pour Rose malgré sa violence grandissante, comme pour Nélie malgré son acte d'usurpation d'identité." En effet, Nélie/Khoudry est une jeune femme pauvre qui essaie de s'en sortir et donc il est aisé de la prendre en empathie surtout incarnée par une actrice charmante et douce, tandis que Rose est une bourgeoise qui n'hésite pas à remettre les plus pauvres à leur place jouée par une actrice plus "sèche" accentuant ainsi le décalage et la "préférence" du spectateur. Il n'y a donc aucune ambiguité ce qui manque beaucoup au film.
D'ailleurs on peut penser la même chose de la patronne/Azéma, qui ne semble pas avoir beaucoup d'attachement ou d'empathie, elle n'hésite pas dans ses décisions, et ça reste son orgueil qui dicte ses choix tandis que ses émotions restent dictées par des choix aristocratiques et égoïstes, heureusement atténués par le choix de Sabine Azéma, la gentillesse incarnée. Par là même l'usurpatrice n'est jamais assez sûre d'elle-même pour créer un doute crédible, vu ses hésitations multiples autant dans le verbe que dans la gestuelle il est improbable que ni Eléonore/Azéma ni son neveu ne s'interroge plus que ça. C'est sur ce point un soucis de d'écriture sur le personnage, ou du moins de direction d'acteur. Sinon le scénario est assez classique mais marqué par quelques séquences marquantes, d'abord le moment de l'usurpation entre la "mort" et l'arrivée des allemands, mais aussi et surtout cette arrivée impromptue telle la faucheuse qui désigne sa prochaine âme. La fin est un peu trop convenue, elle est d'ailleurs différente dans le roman, plus floues alors que le film reste figée ce qui contredit une fois de plus la réalisatrice : "Dans cette histoire, tout le monde est dévié de sa route, même Eléonore, à l'âge qu'elle a, qui croyait avoir tout verrouillé avec ses règles du jeu, son habitude à tout diriger. Grâce à Nellie, son imagination et son horizon s'élargissent et elle finit par accepter d'être dirigée par son coeur." Pourtant Eléonore a suivi justement son coeur dès le début et sa réactivité face au retour de Rose le prouve, Nélie n'a rien d'une lectrice passionnée alors qu'on se doute que Eléonore en a connu beaucoup d'autres auparavant... Le film est intéressant, notamment sur la condition de la femme au début du siècle, surtout on apprécie qu'il n'y ait pas de propos moralisateur, dommage que Nélie soit un personnage trop lisible, ce qui joue forcément sur le manque de suspense ou de tension.
Note :