Minamata (2021) de Andrew Levitas

par Selenie  -  13 Mai 2022, 12:16  -  #Critiques de films

Seulement le second long métrage de Andrew Levitas après son "Lullaby" (2014), mais après avoir été de nombreuses années acteur notamment dans les films "In and Out" (1997) de Frank Oz, l'étonnant "Psycho Beach Party" (2000) de Robert Lee King ou encore "The Box" (2009) de Richard Kelly. Ce projet est adapté du livre reportage "Minamata" (1975) de Aileen Mioko Smith et surtout William Eugene Smith (Tout savoir ICI !), célèbre reporter photographe qui dévoila au monde le scandale autour de ce qu'on appelle notamment la maladie de Minamata (Tout savoir ICI !). Il semble que ce projet, qui date de 2018, ait intéressé la star Johnny Depp dès ses prémices, l'acteur s'investis en tant que producteur et on remarque que des proches sont placés à l'écriture. Ainsi, Andrew Levitas co-signe le scénario avec Stephen Deuters dont c'est le premier scénario après avoir été l'assistant de Johnny Depp sur tous ses tournages depuis "Charlie et la Chocolaterie" (2004) de Tim Burton, avec également Jason Forman dont c'est aussi le premier scénario et qui a été assistant de tiers sur des tournages  avec Johnny Depp retrouvant par ailleurs Deuters sur "The Tourist" (2010) de Florian Henckel Von Donnersmarck, "Rhum Express" (2011) de Bruce Robinson et le dernier "Waiting for the Barbarians" (2019) de Ciro Guerra, puis rejoint par David K. Kessler dont on citera surtout le film "A Hard Day's Day" (2002). Les scénaristes sont également co-producteurs du film qui a été présenté hors compétition au Festival de Berlin 2020. Malheureusement, à l'instar de film comme "City of Lies" (2021) de Bard Furman ou de son remplacement dans le rôle de Grindelwald dans "Les Animaux Fantastiques : les Secrets de Dumbledore" (2022) de David Yates, la film a pâti du scandale (qui commence justement en 2018) de violences conjugales concernant Johnny Depp. Le film n'est donc pas sorti en salles obscures dans de nombreux pays (dont la France) ce qui est d'autant plus dommage au vu du sujet traité... 

Début des années 1970, des japonais demandent à William Eugene Smith, reporter photo de renommée mondiale, de couvrir un reportage sur la maladie de Minamata qui crée des tragédies effroyables dans une petite communauté de pêcheurs qui se situe à proximité de l'usine industrielle Chisso. Certain de tenir là un sujet brûlant qui vaut le Pulitzer il convainc son patron de Life Magazine de l'envoyer au Japon. Sur place il est touché par l'ampleur des drames familiaux et s'investit d'autant plus malgré son alcoolisme. Mais le pouvoir de dissuasion de la firme Chisso n'est pas à prendre à la légère... William Eugene Smith est logiquement incarné par la star Johnny Depp dont le dernier film vu en salles est justement "Les Animaux Fantastiques : les Crimes de Grindelwald" (2018) de David Yates, il retrouve ses assistants-scénaristes après "City of Life" et "Waiting for the Barbarians" cités plus haut, et retrouve après "Pirates de Caraïbes : Le Secret du Coffre Maudit" (2006) et "Pirates des Caraïbes : Jusqu'au Bout du Monde" (2007) tous deux de Gore Verbinski son partenaire Bill Nighy alias Davy Jones vu dernièrement dans "Emma" (2020) de Autumn de Wilde. Aileen Mioko est incarné par l'actrice japonaise Minami, qui retrouve sa collègue Akiko Iwase avec qui elle a joué sur les films "Battle Royale" (2000) de Kinji Fukasaku, "Sakuran" (2006) de Mika Ninagawa et "Voyage à Yoshiro" (2018) de Naomi Kawase. Ils sont entourés d'acteurs japonais majeurs avec Hiroyuki Sanada vu entre autre et aussi dans plusieurs productions hollywoodiennes comme "Avengers : Endgame" (2019) des frères Russo et "Army of the Dead" (2020) de Zack Snyder, et retrouve après "47 Ronins" (2013) de Carl Erik Rinsch et "Mortal Kombat" (2021) de Simon McQuoid l'acteur Tadanobu Asano qui lui-même retrouve après les films "Ichi the Killer" (2001) de Takashi Miike, "Hana" (2006) de Hirokazu Kore-Eda, "Midway" (2019) de Roland Emmerich et "Kate" (2021) de Cédric Ncolas-Troyan le vétéran Jun Kunimura qui retrouve de son côté après "Outrage" (2010) de et avec Takashi Kitano son partenaire Ryo Kase qui était aussi à l'affiche de "Hana", et vu aussi à Hollywood pour les films historiques "Lettres d'Iwo Jima" (2006) de Clint Eastwood et "Silence" (2016) de Martin Scorcese... Notons la musique à la fois douce et onirique qui colle idéalement au sujet qui est signée du compositeur japonais Ryuichi Sakamoto qui s'ets fait un nom avec les films tels que "Furyo" (1983) de Nagisa Oshima et "Le Dernier Empereur" (1988) de Bernardo Bertolucci et qui désormais joue à l'international avec des films comme "The Revenant" (2016) de Alejandro Gonzales Inarritu ou "Proxima" (2019) de Alice Wincour... Le théme du film renvoie à tout un sous-genre de cinéma sur les désastres écolos et/ou humains dus aux pollutions et expérimentations diverses et variées comme récemment aux Etats-Unis "Dark Water" (2020) de Todd Haynes ou en France "Goliath" (2022) de Frédéric Tellier. Ce film de Andrew Levitas rend d'ailleurs hommage à toutes les victimes de ces milliers de drames via un générique de fin particulièrement émouvant. Mais ici, en parallèle du drame sanitaire l'histoire se focalise aussi sur une certaine idée du photojournalisme en rendant hommage à William Eugene Smith qui a porté au plus haut l'éthique du photo reporter via le regard qu'il porte et doit porter sur son sujet. Le film se veut donc un docu-fiction sur la tragédie de Minamata comme un biopic hommage à l'icône du photoreportage. L'un prenant le pas sur l'autre sans que cela soit réellement voulu à priori. L'enquête sur les responsabilités de la firme Chisso est survolé, d'emblée le récit ne se pose pas de question Chisso est coupable et tout le monde le sait. Que ces conséquences sanitaire soient connues depuis des décennies sont à peine esquissées. Seul compte donc l'arrivée du reporter et de sa vision des choses. Par contre on ne comprend pas pourquoi le scénario ment sur certains aspects de la vie de W.E. Smith surtout que ça n'aurait strictement pas gêné la narration du film ; ainsi en vérité le reporter vivait déjà avec Aileen Mirioko lors de son départ pour Minamata et ce n'est pas cette dernière qui lui propose le dossier. Mirioko est aussi photographe et, contrairement à ce qui est affirmé dans le film, Smith a déjà fait des photos couleurs pour un reportage en 1956 pour l'American Institute of Architects.

Un autre point reste ennuyeux, pourtant cette fois sur un point véridique, l'addiction à l'alcool et aux amphétamines ; le soucis est qu'on a l'impression dans le film que le personnage repose sur ça, alcool et dépression au point qu'on se retrouve dans une caricature qui sent le déjà vu. Le plus intéressant reste sa philosophie sur son métier, sur son art, mais finalement elle est juste symbolisée par quelques réflexions du photgraphe sans qu'on voit réellement son travail manuel et artistique qui reste un peu trop superficiel. Certains passages sont très intéressants mais la plupart des spectateurs ne comprendront pas tout s'ils ne connaissent pas à minima la vie du photographe. Par exemple, sa relation avec un jeune victime de Minamata qui veut photographier malgré ses mains déformées renvoie forcément au passé de Smith qui a failli perdre sa main gauche en 45 après de graves blessures à Okinawa. Le film occulte aussi le fait que Chisso fit appel aux Yakuzas pour certaines actions en sous-mains. Finalement, le film repose sur l'émotion et l'empathie qu'on est obligé de ressentir devant tant de détresses et de fatalité, que les photographies appuient de façon magistrale. Et effectivement, le point d'orgue reste cet instant à la fois déchirant, terrible et terrifiant qui sera titré pour la postérité "Le Bain de Tomoko". Le sujet est plus l'idée qu'on peut avoir du photo reportage, la différence entre voyeurisme et art, donner vie et imprégner le négatif avec empathie, et si on comprend la démarche de Andrew Levitas, si on salue l'ambition de son film on ne peut que rester sur notre faim tant le film manque un peu de densité et d'ampleur. Le film ne dure "que" 1h40, un peu court pour traiter à la fois du scandale Minamata avec la firme Chisso et de la philosophie du photoreportage telle que la voyait W.E. Smith. Le processus pro-artistique n'est pas assez approfondi ou montré, par là même le reportage final de Life concerne seulement 11 photographies qu'il aurait été judicieux d'exploiter durant le film, voir de s'y attarder. Le film reste poignant, voir carrément déchirant au vu du sujet, mais quel film ne serait pas sauvé par de telles images, de tels tragédies ?! L'émotion est là quoi qu'il arrive mais, objectivement, ce film reste trop sage, trop maladroit, trop facile mais reste à voir et à conseiller... Note indulgente.

 

Note :      

 

13/20
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