Pauvres Créatures (2024) de Yorgos Lanthimos
Réalisateur singulier et stylé le réalisateur de film comme "Canine" (2009), "The Lobster" (2015), "Mise à Mort du Cerf Sacré" (2017) et son chef d'oeuvre "La Favorite" (2017) le réalisateur grec Yorgos Lanthimos revient avec une adaptation du roman éponymes (1992) de Alastair Gray, auteur avec qui il était en étroite collaboration avant la mort de l'auteur en 2019. Le réalisateur retrouve son scénariste de "La Favorite" (2017), Tony McNamara dramaturge qui précise : "Je veux que le public comprenne qu'il s'agit d'un film politique et qu'il en reconnaisse les aspects féministes et sociaux." Le réalisateur voulait tourner en ektachrome (inversion des couleurs possibles) 35mm qui n'existait plus, Kodak a dû le fabriquer spécialement pour le film. Présenté à la Mostra de Venise le film obtient le Lion d'Or, tandis qu'il est nommé à 7 reprises pour les Golden Globes 2024... Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant mais polémique Dr Godwin Baxter. Sous sa protection Bella a soif d'apprendre dans un monde dont elle ignore tout mais elle s'enfuit avec Duncan Wedderburn un avocat débauché avec qui elle embarque pour une odyssée à travers le monde. Bella imperméable aux convenances et aux préjugés qu'elle ne connaît pas elle est résolue à être libre et profiter de toutes les opportunités...
Bella est incarnée par Emma Stone qui retrouve son réalisateur de "La Favorite" (2017) et du court métrage "Bleat" (2022) ainsi que le scénariste après "Cruella" (2021) de Craig Gillepsie. Le docteur est interprété par Willem Dafoe vu récemment dans "A l'Intérieur" (2023) de Vasilis Katsoupis et "Asteroid City" (2023) de Wes Anderson, tandis que l'avocat est joué par Mark Ruffalo qui a très peu tourné depuis le Covid, un caméo non crédité en Hulk/Banner pour "Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux" (2021) de Destin Daniel Cretton et "Adam à travers le Temps" (2022) de Shawn Levy. Citons ensuite Ramy Youssef révélé par sa série TV "Ramy" (2019-2020), Jerrod Carmichael aperçu notamment dans "Transformers : the Last Knight" (2017) de Michael Bay ou "The Disaster Artist" (2017) de et avec James Franco, Christopher Abbott vu dernièrement dans "The World to Come" (2021) de Mona Fastvold et retrouve après "Sanctuary" (2022) de Zachary Wigon sa partenaire Margaret Qualley, fille de Andie McDowell, vue dans "Once Upon a Time in Hollywood" (2019) de Quentin Tarantino et "Stars at Noon" (2022) de Claire Denis, Kathryn Hunter vue dans "Tale of Tales" (2015) de Matteo Garrone ou "The Tragedy of Macbeth" (2021) de Joel Coen, Hanna Schygulla actrice fétiche de R.W. Fassbinder, vue dernièrement en France dans "Tout s'est bien Passé" (2021) et "Peter Von Kant" (2022) tous deux de François Ozon, et enfin Damien Bonnard vu tout récemment dans "Une Affaire d'Honneur" (2023) de Vincent Perez et "Un Silence" (2024) de Joachim Lafosse... On reconnaît la patte de Lanthimos, ce mélange des genres savamment dosé aussi bien sur la forme que sur le fond, de la dystopie, des sublimissimes décors flirtant avec le style steampunk dans un 19ème fantasmé, et ce scientifique qui nous présente cette variation de Frankenstein au féminin avec un lien pourtant résolument moderne et contemporain. Le livre est raconté de plusieurs points de vue, mais ici le réalisateur-scénariste s'est focalisé sur Bella/Stone, et on le comprend entre autre parce qu'elle permet un message féministe très actuel et qu'elle permet une énième chronique autour du passage à l'âge adulte de façon singulière puisqu'il s'agit du corps d'une femme. Un scientifique défiguré ressuscite une jeune femme qui doit réapprendre à vivre, apprendre surtout les codes, us et coutumes d'une société patriarcale et machiste.
La partie "apprentissage" en huis clos dans une demeure qui a tout de la prison dorée est tournée en Noir et Blanc, un brin vaporeux où le cinéaste use de différente focale donnant de l'ampleur aux décors et insiste sur les effets psychologiques des personnages. On fait connaissance avec le savant fou alias Willem Dafoe impressionnant bien aidé par un maquillage dantesque et magnétique, l'assistant jeune étudiant sans doute un peu lisse mais parfaitement joué par Ramy Youssef, le dandy libertin et libertaire merveilleusement pathétique joué par un étonnant Mark Ruffalo, et enfin et surtout Bella monstresse qui saisit à pleine main, de corps et d'esprit sa liberté et son émancipation incarnée de façon absolument inouïe par une Emma Stone encore une fois prodigieuse. La seconde partie est son voyage, sorte de quête initiatique où sa naïveté s'estompe au fur et à mesure, la belle apprend vite, assimile les codes tout en restant le plus possible elle-même dans ce monde où les hommes commandent aux femmes. Mais justement, arrive le moment où le propos et la volonté de Yorgos Lanthimos a ses limites. On constate que cette émancipation et cette liberté que Bella cherche arrive par pour et avec son corps et donc par pour et avec le sexe. Le soucis n'est pas l'expérience en tant que telle, mais on constate que tout le cheminement de Bella vers son indépendance et son apprentissage du monde se résume au sexe. Dommage, d'autant plus qu'il y avait bien plus à explorer comme la politique et le militantisme abordés aussi vite qu'oubliés. Du sexe exploré de toutes les manières, à l'érotisme divers allant du malaisant, au classique, au romantisme (express), au bestial, mais au grotesque grossier ou savoureux, voir au malaisant plus ou moins jouissif ou non avec une Emma Stone investie, c'est peu de le dire. Une chose est sûre, Lanthimos comme son actrice principale offrent une quête initiatique aussi audacieuse que fascinante malheureusement on aurait aimé un prisme plus large que cette angle uniquement sexuel, ce qui biaise un peu un propos qui s'avère alors un peu maladroit voir ambigu (tous les courants féministes vont une fois de plus se confronter !). En conclusion, Lanthimos a avec ce film un potentiel dingue mais s'est malheureusement laisser prendre par un paramètre "sexe" facile (ou pas ?!). Une petite déception.
Note :