Au Rythme de Vera (2025) de Ido Fluk

par Selenie  -  27 Juin 2025, 11:38  -  #Critiques de films

Troisième long métrage du cinéaste israélien Ido Fluk après "Af Paam lo Meuchar" (2011) et "The Ticket" (2016) mais qui n'avait plus rien tourné depuis des épisodes de séries TV (2017-2018). Il a eu l'idée du film lors du confinement de Covid, quand il s'est plongé dans l'histoire du fameux concert "The Köln Concert" (Tout savoir ICI !) du jazzman Keith Jarrett (en savoir plus ICI !), connu comme étant ensuite l'album solo de jazz le plus vendu de tous les temps. Mais surtout le producteur-réalisateur-scénariste a dû changer son fusil d'épaule en se consacrant moins au jazzman qu'à la toute jeune productrice de 17-18 ans à l'époque  Vera Brandes (Tout savoir ICI !) ; en effet, le cinéaste s'est vu refusé une association avec Keith Jarrett lui-même ou avec la firme ECM Records, ce qui l'a poussé à revoir son récit non pas de la façon d'un biopic mais plus par la vision d'une jeune rêveuse passionnée. D'ailleurs, a contrario, ils ont pu joindre la véritable Vera Brandes qui est aujourd'hui en retraite, qui a collaboré avec l'équipe du film. Pour cause de confinement, au départ Ido Fluk a dû écrire son scénario comme une partition de jazz "instinctive, libre, pleine de silences et de ruptures" pour un film intitulé sobrement en V.O. "Köln 75". Notons que cette production belgo-germano-polonaise a aussi comme co-producteur le réalisateur americano-israélien Oren Moverman, réalisateur de "The Messenger" (2009) ou "Rampart" (2012) et producteur entre autre des biopics musicaux de "I'm Not There" (2007) de Todd Haynes sur Bob Dylan et "Love and Mercy" (2014) de Bill Pohlad sur le groupe The Beach Boys. Le film sort pour l'anniversaire des 50 ans du concert, en parallèle d'autres projets sont donc prévu comme le documentaire français "Köln Tracks" (2025) de Vincent Duceau ou une bande dessinée qui est en cours de préparation... Milieu des années 70, une jeune femme de 17 ans passionnée de jazz se met en tête d'organiser et produire un concert du jazzman Keith Jarrett à l'Opéra de Cologne. Passionnée, et surtout déterminée elle va défier les conventions et Keith Jarrett lui-même pour donner naissance à un des plus famaux enregistrements du jazz du XXème siècle... 

Vera Brandes est jouée jeune par Mala Emde vue dans "303" (2019) de Hans Weingartner, "Lara Jenkins" (2019) de Jan-Ole Gerster ou "Et Demain, le Monde Entier" (2020) de Julias Von Heinz, et plus âgée par Susanne Wolff vue dans "Les Trois Mousquetaires" (2011) de Paul W.S. Anderson, "Retour à Montauk" (2017) de Volker Schlöndorff ou "Sissi et Moi" (2023) de Frauke Finstwalder. Le jazzman Keith Jarrett est incarné par l'américain John Magaro vu dans "Overlord" (2018) de Julius Avery, "First Cow" (2019) de Kelly Reichardt, "LaRoy" (2023) de Shane Atkinson ou "September 5" (2024) de Tim Fehlbaum. Les parents de la jeune productrice sont joués par Ulrich Tukur vu notamment dans "Amen" (2002) de Costa Gravas, "La Vie des Autres" (2007) de Florian Henckel Von Donnersmarck ou "Le Ruban Blanc" (2009) de Michael Haneke, puis Jördis Triebel vue dans "La Révolution Silencieuse" (2018) de Lars Kraume et qui retrouve après "De l'Autre Côté du Mur" (2013) de Christian Schwochow et "Blood & Gold" (2023) de Peter Thorwarth son partenaire Alexander Scheer vu également dans "Le Jeune Karl Marx" (2017) de Raoul Peck ou "Coeurs Ennemis" (2019) de James Kent. Citons ensuite Michael Chernus qui retrouve son producteur de "The Messenger" (2009) et vu récemment dans un autre biopic musical sur Bob Dylan avec "Un Parfait Inconnu" (2024) de James Mangold, Marie-Lou Sellem surtout aperçu dans la série TV "Tatort" (1997-2019) et au cinéma dans "Les Rêveurs" (1997) de Tom Tykwer ou "Charlie's Angels" (2019) de Elizabeth Banks, puis enfin Corey Johnson vu récemment dans "Le Couteau par la Lame" (2022) de Janus Metz Pedersen ou "Kandahar" (2023) de Ric Roman Waugh... Outre le fait que l'artiste Keith Jarrett n'ait pas voulu participer, cela a obligé aussi à trouver une narration qui permet d'occulter les morceaux musicaux du concert dont la production n'a pu obtenir les droits. Ido Fluk a donc focalisé l'histoire sur les coulisses vus de Vera/Emde, et donc au lieu d'un biopic habituel sur le génie plus ou moins véritable de l'artiste le récit suit les coulisses d'une organisation hors norme centrée sur la passion, l'amour de l'art et la détermination d'une adolescente. Par là même, l'Opéra de Cologne étant en rénovation le tournage a dû être déplacé dans la ville polonaise de Lodz qui a poussé le tournage a encore plus d'improvisation ce qui crée une effervescence cohérente avec l'histoire. Le film mêle le teen movie (une ado en rebellion contre des parents strictes), la période beatnik ou la Parenthèse Enchantée et donc la liberté sexuelle pré-SIDA, et enfin le Jazz ou, plutôt, l'art en générale comme symbole des rêves qu'on peut avoir quand on a vingt ans.

Car si il s'agit d'un biopic plus ou moins romancé mais néanmoins très fidèle aux prémices artistiques et entrepreneuriaux de Vera Brandes, le propos et le message de fond reste universel. On s'attache rapidement à cette gamine de 16 ans qui prend son envol et surtout s'émancipe d'un patriarcat réac et conservateur, mais on comprend aussi ce père qui a peur pour l'avenir de ses enfants comme tous pères qui se respectent. Si le père reste un symbole néfaste c'est qu'il n'évolue pas, mais le film n'est heureusement pas manichéen ou stupidement néo-féministe : les autres mâles sont doux et sympas, ou serviables et courtois, humains malgré leurs failles inhérents à leur sexe. Mais Vera/Emde va devoir se battre pour prendre sa place, et s'imposer malgré son sexe mais aussi malgré son âge. Comme l'écrivait Corneille dans "Le Cid" : "Je suis jeune il est vrai mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années." Le parcours de Vera/Emde est virevoltant, audacieux, impertinent et on savoure d'autant plus que le réalisateur offre une mise en scène créative, avec une caméra toujours en mouvement, aussi nerveuse que son héroïne est mouvante, brisant judicieusement le quatrième mur pour imprimer à l'écran une complicité avec le spectateur qui ne rêve alors que d'une chose : revenir à ses vingt ans et oser ses rêves ! Evidemment quand arrive les heures précédentes au fameux concert la tension est à son comble, et ce même si on connaît l'issue heureuse la tension est palpable grâce à un piano dont on sent et ressent le détail, ce grain de sable qui pourrait tout détruire. Coup de maître du réalisateur-scénariste. Niveau acting les seconds rôles sont parfaits, avec un bel équilibre entre les "forces" en présence, évitant très intelligemment de placer Vera/Emde comme un icône ou la super-héroïne solitaire, et évidemment saluons la performance de Mala Emde tout à fait épatante. Le film est un magnifique équilibre entre l'écriture et la mise en scène, entre ses thématiques et le contexte politico-social et surtout entre les émotions qui nous submergent tout le long du récit. Vive la jeunesse, les rêves, la Liberté, le jazz, la musique et les arts !

 

Note :                 

17/20
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