Les Jeunes Amants (2022) de Carine Tardieu
Ce film a failli ne pas voir le jour car il s'agit à la base d'un projet très personnel de la réalisatrice Solveig Anspach, à qui on doit entre autre "Back Soon" (2007) ou "Lulu Femme Nue" (2014), mais qui est malheureusement morte avant d'aboutir. Le film est revenu à Carine Tardieu, réalisatrice des films "La Tête de Maman" (2007), "Du vent dans mes Mollets" (2012) et "Ôtez-Moi d'un Doute" (2017), qui raconte : "Un jour, je travaillais dans un bistrot, et dans le café d'en face, j'aperçois Solveig avec sa co-scénariste Agnès De Sacy et leur producteur Patrick Sobelman. J'étais allé les saluer, et j'ai su à posteriori que c'était leur première runion de travail autour des Jeunes Amants. Un an plus tard, Solveig est décédée. J'avais envie de travailler avec Agnès avec qui j'avais commencé à réfléchir à un scénario, lorsqu'elle m'a proposé de lire le projet qu'elle avait entrepris d'écrire avec Solveig : il racontait l'histoire d'amour que la mère de Solveig avait vécue tardivement avec un médecin bien plus jeune qu'elle. Cette histoire avait bouleversé Solveig au point qu'il lui était inimaginable de ne pas en faire un film. Deux jours avant sa mort, Solveig a demandé à Agnès de lui faire la promesse que ce projet voie le joue, et qu'il soit réalisé par une femme." Carine Tardieu co-signe et poursuit donc le scénario de Solveig Anspach avec Agnès De Sacy donc, qui est connue pour avoir écrit auparavant des films aussi divers que "Rencontre avec le Dragon" (2003) de Hélène Angel, "L'Enfant de Kaboul" (2009) de Barmak Akram, "Le Dernier pour la Route" (2009) de Philippe Godeau, "No et Moi" (2010) de et avec Zabou Breitman, "Cherchez Hortense" (2012) de Pascal Bonitzer, "Le Grand Partage" (2015) de Alexandra Leclère, ou "Les Estivants" (2019) tous deux de et avec Valeria Bruni-Tedeschi. La réalisatrice avoue dans ses références et inspirations les films "Un Homme qui me Plaît" (1969) de Claude Lelouch dont un extrait est inclus d'ailleurs dans le film, "La Fille de Ryan" (1970) de David Lean, "Trois Couleurs - Bleu" (1993) de Krzysztof Kieslowski, "Persona" (1966) et "Sarabande" (2003) tous deux de Ingmar Bergman...
Shauna, 70 ans, femme libre et indépendante, croise dans un hôpital Pierre, 45 ans, qu'elle avait rencontré il y a 15 ans. Le trouble est évident malgré la grande différence d'âge, Shauna n'y croit pas car elle est une vieille femme mais contre toute attente Pierre ne voit encore en elle qu'un femme désirable. Mais Shauna est veuve et grand-mère, Pierre est marié et père de famille... À l'origine le personnage de Shauna était irlandaise et devait être jouée par la star Vanessa Redgrave. Mais à la réécriture le personnage a sensiblement évolué et surtout la réalisatrice voyait une Shauna comme une "femme flamboyante qui traverse l'existence sur la pointe des pieds", et précise : "Pour dire les choses clairement, il était pour moi inimaginable de proposer le rôle à une femme qui aurait eu recours à la chirurgie esthétique. Je ne blâme as celles (et ceux) qui cèdent à la tentation car je sais comme la pression est forte, mais en tant que réalisatrice, je considère le lifting comme un fléau. C'est ma directrice de casting, Tatiana Vialle, qui m'a parlé de Fanny Ardant." Shauna est donc incarnée par Fanny Ardant vue récemment dans "La Belle Epoque" (2019) de Nicolas Bedos, "Perdrix" (2019) de Erwan Le Duc et "ADN" (2020) de Maïwenn. Pierre est interprété par Melvil Poupaud vu dans "Une Jeunesse Dorée" (2019) de Eva Ionesco, "J'Accuse" (2019) de Roman Polanski et "Eté 85" (2020) de François Ozon, tandis que son épouse est jouée par Cécile de France qui retrouve Carine Tardieu après "Ôtez-Moi d'un Doute", vue ces derniers mois dans "De Son Vivant" (2021) de Emmanuelle Bercot, "The French Dispatch" (2021) de Wes Anderson et "Illusions Perdues" (2021) de Xavier Giannoli. À leurs côtés citons Florence Loiret-Caille qui aurait dû retrouvé Solveig Anspach après "Queen of Montreuil" (2013) et "L'Effet Aquatique" (2016), et vue récemment dans "C'est la Vie" (2020) de Julien Rambaldi, puis Sharif Andoura "Marvin ou la Belle Education" (2017) de Anne Fontaine et "L'Homme de la Cave" (2021) de Philippe Le Guay... Pour un fois une histoire d'amour se moque de la différence d'âge, ou plutôt pour une fois l'histoire concerne un couple où c'est la femme qui a l'âge d'être la mère de son amant et pas l'inverse ! Si on excepte les histoires de pédophilie plus ou moins avouées, où les écarts d'âges plutôt faibles on doit avouer que la différence d'âge avec la maîtresse qui pourrait être celle de son amant ne sont pas légion et encore plus rare quand la femme est à la retraite ! On ne peut en citer que deux, le record appartenant au mythique "Harold et Maud" (1971) de Hal Hashby, et plus récemment on peut penser à l'excellent et trop méconnu "The Mother" (2003) de Roger Michell où la différence est encore plus forte que dans "Les Jeunes Amants". Ces deux derniers sont sans doute plus audacieux par bien des aspects, mais le trio Anspach-De Sacy-Tardieu ajoute d'autres paramètres dont un qui ne surprend pas outre mesure puisque c'est la norme franco-égo-parisienne, et une qui assume frontalement le fait que la vieillesse amène souvent des soucis de santé. Donc nous sommes pour une énième fois chez les bourgeois, qui facilite l'écriture car souvent dans le cinéma malheureusement, il est bien démontré que les bourgeois sont moins engoncés dans les clichés et ont une ouverture d'esprit plus larges. Il paraît.
Néanmoins, les bourgeois ont aussi le droit d'aimer et d'être aimer, et c'est surtout sur ce point que le film se focalise. Après un prologue sans doute superflu le récit se met en place de façon très naturaliste, très réaliste, avec une immersion tout en délicatesse et sans effet démonstratif. La rencontre en Irlande l'est tout autant, juste et sans esbroufe avec en prime d'ailleurs une photographie sublime idéale pour mythifier la beauté de l'Eire. La séduction est décrite avec patience et pudeur, voir presque décryptée, mais à l'image d'un homme de 45-50 ans qui sait ce qu'il fait, lucide sur ses choix comme cette femme de 70 ans qui veut croire qu'elle a encore droit à l'amour tout en sachant que ce n'est pas franchement "raisonnable". La faiblesse du film est aussi sa force qui réside justement dans ces petits détails qui font tout, ces petites choses dans leur relation qui ne sont pas habituels dans ce genre de film. Ainsi, l'homme (qui est médecin donc pas bête et image du mari idéal) avoue aussitôt à son épouse sa première faute, et son épouse (Cécile de France déchirante !) en retour de pardonner aussitôt car c'est l'homme de sa vie et qui fait la part des choses entre sentiment et sexe... Jusqu'à ce qu'elle apprend qui est la maîtresse ! Donc tromper n'est pas un soucis mais pas avec une vieille (?!) Mais chacun assume, de manière pourrait-on dire finalement tout à fait mature et responsable ce qui n'empêche pas que "ça fait un mal de chien". Malgré un amant-époux beau, intelligent, riche donc l'homme idéalisé qui fait un peu image d'épinal, il y a dans l'évolution du récit, et donc, des sentiments une vraie acuité, une tendresse et un amour omniprésent même dans les émotions qui trahissent les douleurs et les trahisons. Le film se dote donc de choses vraiment très agaçantes (que des cadres ou assimilés dans leur job, homme parfait, épouse assez aimante pour s'effacer, meilleur ami et fille seule malgré eux idéaux et compréhensifs,...) mais comme par magie, Carine Tardieu parvient pourtant à mettre en place une histoire d'amour crédible, délicate et tendre avec une pudeur peut-être un chouïa trop appuyé car il manque sans doute un côté charnel non assumé qui cache sans doute une gêne. On s'agace donc un peu, mais la force des émotions arase ces détails pour nous bercer d'une histoire d'amour forte qui pose des questions toujours essentielles : a-t-on tous le droit à l'amour ?! Est-on tous égaux devant l'amour ?! Est-ce que amour est synonyme de sacrifice ?!... etc... Les émotions sonnent justes à chaque fois, la direction d'acteur n'y est sans doute pas pour rien tant les acteurs sont impressionnants de justesses, sans surjeu, dont deux acteurs principaux en symbiose vraiment époustouflants. En conclusion, le film est un drame amoureux parfaitement écrit, quelques poncifs dommageables, mais qu'on excuse tant les émotions sont empreint de sincérité et de subtilité merveilleusement incarnées par des acteurs inspirés. Un très bon moment.
Note :