Mort de Jean-Luc Godard
Ultime représentant de la Nouvelle Vague (Tout savoir ICI !), le réalisateur Jean-Luc Godard est mort ce jour du 13 septembre 2022 à l'âge de 91 ans.
Né en 1930 à Paris 7ème il est le deuxième enfant sur quatre d'un père médecin et d'une maman descendante des pasteurs Jean et Adolphe Monod de confession protestante et dont la famille à une forte affluence. Le père trouve une place dans une clinique en Suisse, la famille s'y installe donc en 1933, le jeune Godard grandit au bord du lac Léman entre Nyon et Rolle. Son enfance est essentiellement sportive entre football, ski et basket mais commence à se passionner pour la peinture. En 1940, il se trouve chez ses grands-parents à Paris lors de l'invasion allemande il est alors envoyé chez une tante en Bretagne puis traverse la France pour retrouver le domicile familial en Suisse. Cette période est particulière pour l'enfant qui voit un grand-père pétainiste et collabo face à des parents plutôt républicains, anglophiles et bénévoles à la Croix-Rouge.
Après la guerre il part poursuivre ses études au lycée Buffon où il échoue au Bac en 1947. En parallèle, son père souffre de la maladie de Charcot tandis que la mère quitte le foyer conjugal en 1949 avant un divorce en 1952. Le jeune étudiant déménage et a comme voisin l'éditeur et écrivain Jean Schlumberger qui sera aussi une des victimes de ses vols. En effet, bien que d'une famille aisée, le jeune Jean-Luc Godard vole aussi facilement qu'un kleptomane, des inconnus aussi bien que ses proches ou sa famille il est alors bientôt mit à l'écart de sa famille. C'est aussi à cette période qu'il commence à fréquenter la Cinémathèque Française et les ciné-clubs. Il lit aussi beaucoup et découvre entre autre les articles de la Revue du Cinéma signés d'un certain Maurice Schérer qui sera connu plus tard sous le nom de Eric Rohmer.
Bien qu'en rupture avec sa famille il revient en Suisse en 1948, repasse son Bac à Lausanne où il échoue une seconde fois avant de réussir enfin en 1949. Toujours passionné de peinture, le jeune étudiant hésite désormais avec la littérature et le cinéma. Il rédige son premier scénario à cette époque, "Aline" d'après le roman de Charles Ferdinand Ramuz. Il repart à Paris et s'inscrit à la Sorbonne en anthropologie. Il rencontre alors la future Suzanne Schiffman qui deviendra plus tard une de ses plus proches et fidèles collaboratrices. Il délaisse finalement les études préférant passer son temps à la Cinémathèque où il devient ami avec entre autre François Truffaut et Jacques Rivette. Ils se réunissent et fondent le Bulletin du Ciné-Club qui devient très vite la revue La Gazette du Cinéma où ils n'hésitent pas à critiquer le "cinéma de papa".
De décembre 1950 à avril 1951 il part en voyage inviter par son père. Il visite New-York, la Jamaïque où son père s'est installé, et surtout visite l'Amérique du Sud.
Avril 1951, Jacques Doniol-Valcroze et André Bazin créent les Cahiers du Cinéma qui réunit des critiques de divers horizons dont Maurice Schérer (Rohmer) qui fait entrer ses amis de la Revue du Cinéma, Godard bien sur, Truffaut et Rivette mais aussi Chabrol (les futurs réalisateurs de la Nouvelle Vague réunis en 1959 à cannes ci-dessous). Dès le début Godard se fait une place polémique, un premier article en janvier 52 sur le film "La Flamme qui s'éteint" de Rudolph Maté, suivi avec un éloge intitulé "Suprématie du sujet" sur le film "L'Inconnu du Nord-Express" de Alfred Hitchcock avant d'attaquer violemment son collègue André Bazin dans un article nommé "Défense et Illustration du Découpage classique" qui fait alors grand bruit et qui critique le classicisme du cinéma français.
Mais les temps restent durent, son père lui trouve alors une place de cadreur en 1953 à la télévision suisse mais le jeune homme est resté un voleur et il est viré après avoir pioché dans la caisse de la télévision. Pour éviter la guerre d'Indochine il opte pour la nationalité suisse mais il omet le fait qu'il doit effectuer un long service militaire, même en Suisse ce qui pousse son père à le faire interner plusieurs semaines à l'hôpital psychiatrique de Lausanne. C'est une seconde rupture, il ne revoit plus son père avant une dizaine d'années. Sa mère lui trouve ensuite un travail sur le chantier du barrage de la Grande-Dixence. Il y reste près de deux ans pendant lesquelles il perd sa mère seulement âgée de 45 ans, puis en profite pour signe son premier film, le documentaire "Opération Béton" (1955) sur ce chantier qu'il vend ensuite à la société qui gère le barrage. Il réalise ensuite son premier court métrage de fiction avec "Une Femme Coquette" (1956) puis retourne à Paris, renoue avec la bande des Cahiers du Cinéma tandis que Claude Chabrol lui permet d'obtenir un poste d'attaché de presse pour la Fox. Grâce à Truffaut il écrit aussi pour le magazine Arts puis travaille comme monteur pour le réalisateur Pierre Braunberger.
Entre temps il réalise le court métrage "Tous les Garçons s'appellent Patrick" (1957), puis "Une Histoire d'Eau" (1958) commencé par son ami Truffaut qui le délaisse étant mécontent du résultat et repris par Godard ensuite. Ce court sera diffusé en première partie du film "Lola" (1961) de Jacques Demy comme un autre court, "Charlotte et son Jules" (1958) pour lequel il fait tourner pour la première fois un certain Jean-Paul Belmondo.
C'est alors qu'il s'aperçoit que ses amis des Cahiers du Cinéma se font une place sur grand écran avec "Le Beau Serge" (1957) de Claude Chabrol et surtout "Les 400 Coups" (1959) de François Truffaut. Françoise Giroud écrit dans l'Express en 1957 un article sur cette nouvelle génération et crée le terme "Nouvelle Vague" qui prendra toute son ampleur à partir du Festival de Cannes 1959. Godard a alors tout à fait conscience qu'il lui faut prendre le train en marche. Il cherche donc un projet pour son premier long métrage et finalement choisit une idée de scénario de Truffaut qui s'inspire librement du périple de Michel Poiccard. Mais lors du tournage il s'aperçoit que son film est trop dense et qu'il lui faut écourter, il suit alors les conseils de son ami Jean-Pierre Melville qui lui dit que son film devenant impossible il lui faut assumer et couper à l'intérieur des plans et non pas des plans entiers comme c'est alors la tradition. Résultat, le film se trouve avec des discontinuités ou des "faux raccords" qui créent un rythme singulier. Ainsi voit le jour son premier long métrage, "À Bout de Souffle" (1959 - ci-dessus et ci-dessous) avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg. Le premier devient alors un star, tandis que l'américaine Jean Seberg écrira à son professeur de cinéma : "C'est une expérience folle - pas de spots, pas de maquillage, pas de son ! Mais c'est tellement contraire aux manières de Hollywood que je deviens naturelle." Le film rencontre le succès avec plus de 2,2 millions d'entrées France et, surtout, reçoit des critiques dithyrambiques de la majorité des professionnels. Jean-Luc Godard vient de marquer le cinéma de son empreinte.
Malgré tout, le cinéaste est marqué par quelques critiques qui accusent cette Nouvelle Vague de traiter de sujets ineptes sans être ancré dans les problèmes de société. Godard prend alors le contre-pied et se lance aussitôt dans son second long métrage avec "Le Petit Soldat" (1960 - ci-dessous) sur l'histoire d'un déserteur prit entre terroriste de l'extrême-droite et le FLN, et qui aborde le sujet sensible de la torture. Le film est censuré et ne sortira qu'à la fin de la guerre d'Algérie en 1963. Mais le tournage est aussi une chance pour Godard qui séduit son actrice principale, Anna Karina (ci-dessous) qui avait refusé le rôle de Jean Seberg auparavant car elle ne voulait pas se déshabiller. Ils se marient en 1961 (avec Melville comme témoin de mariage) et l'actrice devient alors sa muse.
Il enchaîne avec "Une Femme est une Femme" (1961) réunissant ses deux acteurs vedettes Jean-paul Belmondo et Anna Karina sur un couple dont la femme désire faire un enfant dans les 24h menaçant son compagnon de le faire avec son meilleur ami. Le film obtient le Prix spécial du Jury à la Berlinale 1961, Anna Karina reçoit le prix d'interprétation, avec un joli succès en salle avec moins de 550 000 entrées même si ça reste en deça des attentes.
Il réalise ensuite "Vivre sa Vie" (1962) où Anna Karina est Nana, vendeuse qui rêve de devenir actrice mai qui va peu à peu devoir se livrer à la prostitution ; le film est primé au Festival de Venise avec le Prix spécial du Jury et le Prix de la Critique. Il poursuit en signant "Les Carabiniers" (1963) sur les dérives d'une dictature qui est son premier vrai échec public, puis réalise un projet plus ambitieux avec "Le Mépris" (1963 - ci-dessous) qui réunit Michel Piccoli, Brigitte Bardot, la star hollywoodienne Jack Palance et le grand Fritz Lang. Un tournage pas si heureux pour Godard dont les producteurs ont imposé qu'on voit la star Bardot nue, ce que le réalisateur détournera via des filtres de couleur devenue culte. La postérité offrira néanmoins à ce film un statut culte au point qu'il reste un des 3-4 films les plus connus du réalisateur et son second plus gros succès au box-office avec plus de 1,5 millions d'entrées France.
Il retrouve son épouse (qui porte le nom de la mère de Godard dans le film, Odile Monod) pour "Bande à Part" (1964 - ci-dessous) avec Sami Frey et Claude Brasseur sur un triangle amoureux sur fond de cambriolage. Le film est connu pour deux scènes mythiques, la course dans la galerie des glaces au Chateau de Versailles, et la danse du Madison au café. Le film est le préféré d'un certain Quentin Tarantino qui a nommé en son hommage sa société de production A Band Apart.
Il réalise ensuite "Une Femme Mariée. Fragments d'un film tourné en 1964" (1964) avec Macha Méril en épouse d'un pilote qui court voir son amant quand ce dernier est parti en vol jusqu'au jour où elle apprend qu'elle est enceinte sans savoir qui est le père. Sans réelle surprise le film est car "outrageux pour l'ensemble des femmes et que la mise en scène de la sexualité est trop suggestive". Malgré le scandale dans la presse, Godard accepte quelques menues modifications pour que son film soir diffusé. Il se lance ensuite dans son premier film de science-fiction, "Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution" (1965 - ci-dessous) avec Eddie Constantine et Anna Karina. Le film est tourné en décor naturel à Paris de nuit et sans éclairage ce qui donne une atmosphère très singulière avec l'idée que le futur est déjà là en 1965, et que les êtres humains sont ni plus ni moins que des machines. Le film reçoit l'Ours d'Or au festival de Berlin 1965.
Alors que le réalisateur a divorcé de Anna Karina, il lui offre un nouveau rôle auprès de Belmondo pour un road-movie, "Pierrot le Fou" (1965 - ci-dessous) sorte d'anti-thèse anar à "À Bout de Souffle" qui réunit plus de 1,3 millions d'entrées France pour se positionner sur le podium du box-office Godard. Le film partage néanmoins la critique mais on retiendra le soutien marquant du poète Louis Aragon qui écrit dans Les Lettres Françaises un article intitulé "Qu'est-ce que l'art, Jean-Luc Godard ?".
Il change de style et de genre ensuite avec "Masculin Féminin" (1966 - ci-dessous le réalisateur et son actrice Chantal Goya) où il offre le rôle principal à Jean-Pierre Léaud dans le rôle de Paul Doinel, reprenant ainsi comme un miroir le personnage récurrent de Antoine Doinel dans les films de François Truffaut également incarné par le même acteur qui devient ainsi l'acteur fétiche des deux réalisateurs phares de la Nouvelle Vague, 10 films avec Godard et "seulement" 8 avec Truffaut.
Mais à cette période Jean-Luc Godard bascule ouvertement à gauche et se radicalise politiquement. la censure de "La Femme Mariée" est un premier choc, mais l'instant fatidique reste sûrement l'interdiction du film "Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot" (1966) de Jacques Rivette. Godard attaque alors frontalement le ministre de la culture André Malraux en publiant dans la Nouvel Observateur un texte titré "Lettre ouverte à André Malraux, ministre de la Kultur". L'effet bombe fonctionne à tel point que Malraux autorise finalement la projection du film au festival de Cannes. Jean-Luc Godard est alors au sommet de son art et surtout de son statut singulier au sein du monde culturel.
Il retrouve Anna Karina pour "Made in USA" (1966) qui sera leur dernière collaboration, tourné en urgence sur demande du producteur Pierre Braunberger le film sera écharpé par la critique. Il enchaîne aussitôt avec "Deux ou Trois Choses que je sais d'Elle" (1966) où Marina Vlady est une jeune femme qui n'hésite pas à se prostituer pour un robe ou pour aller chez le coiffeur.
Godard ne tournera plus avec Anna Karina, sans doute parce qu'il rencontre en 1965 la jeune Anne Wiazemsky, petite-fille de l'écrivain François Mauriac, qui a d'abord refuser ses avances mais qui, après l'obtention de son bac, lui écrit une lettre d'amour en 1966. Grâce à elle il découvre le milieu étudiant. Il réalise alors "La Chinoise" (1967 - ci-dessous) avec donc Anne Wiazemsky qu'il épouse et Jean-Pierre Léaud sur des étudiants maoïstes qui reflètent alors les opinions du réalisateur qui se politise encore plus. Mais malgré son sujet et la sincérité de son projet le film partage et se fait même conspué par les maoïstes eux-mêmes qui s'indignent d'être représentés comme des "jeunes bourgeois qui jouent à la révolution."
Il signe ensuite "Week-End" (1967 - ci-dessous) toujours avec sa nouvelle muse et avec Jean Yanne et Mireille Drac, sur un couple qui rend visite à une belle-mère par intérêt mais dont l'antipathie ambiante fera dire à Godard que son film est "méchant, grossier et caricatural". Après cet échec le cinéaste pense arrêter le cinéma à tel point qu'il conseille à ses plus proches collaborateurs (Raoul Coutard, Suzanne Schiffma et Agnès Guillemot) de travailler pour d'autres réalisateurs.
S'il tourne néanmoins le téléfilm "Le Gai Savoir" (1968) sorte de suite à "La Chinoise" qui est censuré et interdit de diffusion, Jean-Luc Godard délaisse le cinéma tel qu'il est alors et s'engage politiquement sur des sujets comme l'affaire Langlois (Tout savoir ICI !), la guerre du Viêt-Nam et surtout Mai 1968 durant lequel il pousse à l'arrêt du Festival de Cannes accompagné d'autres réalisateurs majeurs comme François Truffaut, Alain Resnais, Claude Lelouch ou encore Louis Malle. Avec Chris Marker il crée des "cinétracts" des mini courts de 3mn de propagande révolutionnaire. Pourtant très actif le cinéaste se détache pourtant de ses confrères et ne participe pas à la création de la Société des Réalisateurs de Films. Il remet en cause sa notoriété et veut devenir un anonyme puis remet en cause la notion d'"auteur" qu'il avait pourtant défendu bec et ongle jusque là.
Pour combattre justement ce terme "auteur", il fonde le groupe Dziga Vertov (en référence au réalisateur soviétique) avec Jean-Pierre Gorin et signe désormais les films de ce collectif. Citons par exemple "Un Film comme les Autres" (1968) où il fait dialoguer des étudiants de Nanterre avec des ouvriers de l'usine Renault, ou "One plus One" (1968) où il filme l'enregistrement de l'album "Sympathy for the Devil" (1968) des Rolling Stones qui sont filmés de telle façon que Godard veut montrer le groupe au travail contestant ainsi le "génie créatif". Citons de ce concept à vu très "maoïste" les films comme "Pravda" (1969), "Vent d'Est" (1969), "Vladimir et Rosa" (1970) ou "Letter to Jane" (1972). Des films qui restent très confidentiels, expérimentals et sans succès publics.
Entre temps, Jean-Luc Godard divorce de Anne Wiazemsky, puis a un accident de moto grave en 1971 avec fracture du bassin et une semaine de coma, plus de six mois d'hôpital durant lesquels il se lie avec Anne-Marie Miéville qui va devenir sa conjointe, mais aussi et surtout sa plus fidèle collaboratrice comme photographe, scénariste, monteuse et co-réalisatrice.
Malgré tout, le producteur Jean-Pierre Rassam parvient (moyennant finance forcément) à faire revenir Godard et son compère Gorin vers un cinéma plus classique. Ce sera "Tout va Bien" (1972 - ci-dessous) avec les stars Yves Montand et Jane Fonda, mais le film malgré un gros budget fait un bide en salles.
Son associé Jean-Pierre Gorin cherche à réaliser un film mais ne se sentant pas soutenu par Godard quitte la France ce qui met fin au groupe Dziga Vertov. Godard se rapproche encore plus de sa conjointe et co-signe avec elle plusieurs films qui sortent pour la plupart en vidéo comme "Ici et Ailleurs" (1974), "Comment ça va" (1976) ou "France Tour Détour Deux Enfants" (1979). Entre temps, il avait basé sa société Sonimage à Grenoble mais lassé de cet environnement il part en 1976 et vide les locaux sans prévenir les salariés. Sonimage sera condamné pour ces faits.
Mais surtout, en 1973 il se fâche avec son ami François Truffaut, un clash violent qui met fin à leur relation et à leur amitié. Pour en savoir plus c'est ICI !
Désormais il vit et travaille en Suisse où il s'est installé à Rolle sur la région de son enfance. Après des années vidéos, Jean-Luc Godard désire revenir au cinéma dans le circuit classique. En 79 il contacte Jean-Paul Belmondo qui a acquis les droits sur la biographie de Jacques Mesrine mais Belmondo se méfie de Godard désormais craignant le style trop expérimental du cinéaste. Godard se tourne outre-Atlantique et propose son scénario sur la vie du mafieux Bugsy Siegel à Francis Ford Coppola mais le projet s'enlise sans doute parce que Godard n'est plus celui de la Nouvelle Vague.
Néanmoins, Godard collabore avec le scénariste Jean-Claude Carrière pour un nouveau projet, "Sauve qui peut "la Vie" (1980 - ci-dessous) qui réunit pas moins que Isabelle Huppert, Jacques Dutronc et Nathalie Baye. Le film suit trois personnages dans quatre épisodes de leur vie. Le film connaît un joli succès avec 620000 entrées France et permet au réalisateur de renouer avec le milieu après une douzaine d'années en marge.
Il enchaîne alors avec "Passion" (1982), projet qui est né du désir de tourner avec Hanna Schygulla, muse de Rainer Werner Fassbinder. Cette dernière joue une patronne d'auberge qui accueille un tournage, puis épouse de Michel Piccoli patron d'usine dans laquelle Isabelle Huppert est une ouvrière en grève. Le succès est moindre mais reste assez net pour confirmer le retour de Godard.
Il tourne ensuite une nouvelle adaptation de Carmen avec "Prénom Carmen" (1983 - ci-dessous) avec Marushka Detmers qui remplace au pied levé Isabelle Adjani qui ne supportait pas la façon de travailler du réalisateur. Godard s'octroie un rôle, seulement la seconde fois depuis "Vladimir et Rosa" (1970) dans cette nouvelle adaptation contemporaine où le cinéaste ose remplacer la musique originelle de Georges Bizet par Beethoven. Le film récolte près de 400000 entrées France et surtout remporte le Lion d'Or à la Mostra de Venise 1983.
Pour son prochain projet, il s'inspire du livre "L'Evangile au risque de la Psychanalyse" de Françoise Dolto et Gérard Sévérin pour son film "Je vous Salue Marie" (1985 - ci-dessous) en offrant le rôle principal à Myriem Roussel qu'il avait fait tourné dans "Passion" avant un rôle plus important dans "Prénom Carmen". Parallèlement, sa compagne Anne-Marie Miéville tourne son propre film sur le même sujet "Le Livre de Marie" (1985) qui est présenté comme une préface au film de Godard. Avec ce film Godard connaît sans doute son plus gros scandale en indignant les catholiques du monde entier. Néanmoins le film est un nouveau succès pour le réalisateur.
Mais, le tournage d'un tel film sur un tel sujet a obligé Godard à promettre un film plus "classique" à ses producteurs. Ce sera donc un polar, "Détective" (1985 - ci-dessous sur tournage) avec Claude Brasseur, Jean-Pierre Léaud, Nathalie Baye grâce à qui son conjoint d'alors et star Johnny Hallyday arrive sur ce projet qui est promis à un succès au vu du genre et de l'affiche. Le film ne rencontre pas le succès attendu mais réunit tout de même plus de 380000 entrées France.
Durant les années 80 il multiplie aussi les supports, il tourne plusieurs clips, des publicités, des téléfilms comme "Grandeur et Décadence d'un Petit Commerce de Cinéma" (1985). Il réalise le film "Soigne ta Droite. Une Place sur Terre" (1987) avec Jane Birkin, Dominique Lavanant et Pauline Lafont adapté de 'L'Idiot" de Dostoïevski, puis porte à l'écran une énième adaptation de Shakespeare avec "King Lear" (1987) dans lequel il fait tourner Julie Delpy, Leos Carax et Woody Allen. Ce tournage est compliqué, et tandis qu'il est présenté au Festival de Cannes le producteur est outré que Godard se soit servi de conversation privée dans son film. Le film n'est pratiquement pas diffusé engrangeant à peine 9000 entrées au total.
Après sa période Belmondo, le réalisateur fait appel à Alain Delon pour, "Nouvelle Vague" (1990 - ci-dessus et ci-dessous à Cannes), un titre forcément évocateur mais qui n'a rien à voir avec cette histoire mystérieuse qui pourrait être une variation originale et moderne de "L'Homme des Hautes Plaines" (1973) de et avec Clint Eastwood.
Puis il retrouve son acteur Eddie Constantine qui reprend pour l'occasion son personnage de Lemmy Caution dans "Allemagne année 90 Neuf Zéro" (1991) sorte de suite non officielle de "Alphaville" dans une période où le Mur de Berlin est tombe. Il réalisa ensuite "Hélas pour Moi" (1993 - ci-dessous sur le tournage) avec Gérard Depardieu, inspiré de la mythologie de Alcmène et Amphitryon où comment un dieu apprend à éprouver les émotions humaines et comment de là naît la création.
Mais surtout les années 90 sont pour Godard la décennie du cinéma et de la théorie, signant de nombreux documentaires et autres films sur le cinéma, sa portée artistique et théorique comme "JLG/JLG Autoportrait de Décembre" (1995), "Deux fois Cinquante ans de Cinéma Français" (1995), "The Old Place. Small Notes Regarding the Arts at Fall of 20th Century" (1998) et sa série TV "Histoire(s) du Cinéma" (1988-1998).
Entre temps il réalise "Eloge de l'Amour" (2001) dont l'écriture a débuté dès 1996 mais la gestation, les réécritures, le tournage étalé sur de nombreux mois et le montage tout aussi laborieux on retardé sa sortie. Le film reçoit un accueil frileux et ne réunit que 75000 entrées France au box-office. Un tournant car ce film va être pourtant son plus grand succès du 21ème siècle.
Il signe ensuite "Notre Musique" (2004 - ci-dessous) où le réalisateur s'adresserait à l'intelligence du public, avec une quête pour trouver les racines communes de tous les genres, rendant hommage au passage au film "Fahrenheit 451" (1966) de François Truffaut tout en se positionnant en faveur des palestiniens contre Israël.
Le cinéma de Godard est courant des années 2000 très confidentiel voir même invisible et ne survit que par son statut d'icône. Citons encore "Film Socialisme" (2010) sorte de patchwork de saynètes collées ensemble qui réunit tout de même 38000 entrées... européennes !
Il signe ensuite un segment du film "3 x 3D" (2014) co-réalisé par Peter Greenaway et Edgar Pêra. La même année il réalise "Adieu au Langage" (2014) qui reçoit le Prix du Jury au Festival de Cannes qu'il ne vient pas chercher expliquant son geste via un court film de 8mn intitulée "Lettre filmée à Gilles Jacob et Thierry Frémaux".
Il revient avec son ultime long métrage, "Le Livre d'Image" (2018) qui reçoit une Palme d'Or "spéciale" qu'il ne vient toujours pas chercher mais il fait une conférence de presse en visio.
Ces deux ultimes prix à Cannes sonnent comme des prix honorifiques, à la fois comme des adieux et un appel du pied qui lui ait faîte tandis que Godard réagit comme un roi capricieux et narcissique, à l'image d'une grande partie de son cinéma finalement.
Des prix qui s'ajoutent à d'autres aussi prestigieux dont un César d'Honneur en 1987 pour l'ensemble de sa carrière, puis un second César d'Honneur en 1998 exceptionnel pour son oeuvre (nuance !!!). Puis il reçoit un Oscar d'Honneur en 2010 qui rallume la polémique autour de son antisémitisme. Pour faire court, nombreux ceux qui accusent Godard d'être antisémite (déclarations, passages dans ses films...) mais d'autres insistent sur le fait qu'il est antisioniste plutôt qu'antisémite (nuance !) tout en rappelant qu'il a toujours renié un grand-père collabo.
Par là même, lors de cette même cérémonie, le scénariste Phil Alden Robinson déclare : "Godard a changé la façon d'écrire, de réaliser, de tourner et de monter. Il n'a pas seulement bouleversé les règles. Il les a écrasées en voiture avant de repasser dessus en marche arrière pour être sûr qu'elles étaient bien mortes."
Jean-Luc Godard a divisé, il est autant aimé que détesté mais il est indéniable qu'il est une figure historique du Septième Art, une icône incontestable du cinéma ayant encore une influence indéniable sur les cinéastes d'hier, d'aujourd'hui et de demain de Peter Bogdanovich à Tarantino en passant par Monte Hellman, Philippe Garrel, Romain Goupil ou Paul Shrader jusqu'au récent film "Le Redoutable" (2017 - ci-dessous) de Michel Hazanavicius.
Sa carrière aussi prolifique que très hétérogène aussi bien sur la forme que sur le fond explique en partie ce désappointement autour de Godard. Ses débuts et son apogée avec les années Belmondo-Karina (1959-1965), son déclin ou sa période plus ou moins maoïste (1966-1979), son retour dans le système et ses promesses (1980-1987), sa théorisation du cinéma (1988-1999), puis son cinéma expérimental auto-centré (2000-2022).
Un narcissisme et une prétention qui se reflète dans ses films à partir des années 70 et encore plus à la fin de sa carrière. Citons sur ce point Jacques Lourcelles dans son livre "Dictionnaire des Films" à propos de la Nouvelle Vague d'abord : "Personne avant eux n'avait osé dire autant de bien de soi et autant de mal des autres." Puis citant Godard : "Entre un de nos films et un film de Verneuil, Delannoy, Duvivier et Carné, il y a vraiment une différence de nature."
Précisons que Godard aimait les citations ("Pour moi, toutes les citations - qu'elles soient picturales, muysicales, littéraires - appartiennent à l'humanité"), que le cinéma reste omniprésent dans ses fictions (les personnages vont en salles obscures, tournent un film ou en parlent), et qu'il a fait du cinéma un mélange effectif de tous les genres artistiques, jamais personnes n'aura autant mêlé fiction et documentaire, peinture et collage, photographie et musique... etc...
Rappelons que Godard était un artiste complet, outre la peinture et l'écriture il aura assumé et assuré à tous les postes, auteur complet et producteur-réalisateur-scénariste-monteur-dialoguiste mais aussi écrivain, critique et théoricien du cinéma. Un artiste au Panthéon du Septième Art qui boucle la boucle en 2019 en posant à la Une des Cahiers du Cinéma.
Jean-Luc Godard, icône Nouvelle Vague et pas que, est mort (par suicide assisté, "pas malade mais parce qu'il était usé" selon certaines sources) ce jour de mardi 13 septembre 2022 chez lui à Rolle en Suisse à l'âge de 91 ans.