Bigamie (1953) de Ida Lupino

par Selenie  -  15 Mai 2023, 09:13  -  #Critiques de films

Après un passage par le Film Noir avec "Le Voyage de la Peur" (1953) un peu décevant, Ida Lupino revient à son style premier et ses sujets de prédilection en s'intéressant à un fait de société plus ou moins tabou et en s'intéressant aux femmes et à leur position sociale. Avec ce nouveau projet la cinéaste revient alors sur un fil conducteur thématique qui relie ainsi "Avant de t'Aimer" (1949), "Faire Face" (1949), "Outrage" (1950) et "Jeu, Set et Match" (1951). Avec ce film la réalisatrice collabore à nouveau avec son époux Collier Young qui écrit le scénario d'après le travail et l'idée originelle de deux autres scénaristes, Larry Marcus qui a écrit auparavant "La Main qui Venge" (1950) de William Dieterle, "Jour de Terreur" (1951) de Tay Garnett ou "Paula" (1952) de Rudolph Maté, puis Lou Schor qui signe la même année le film "Madame voulait un Manteau de Vison" (1953) de William A. Seiter. Notons que Ida Lupino s'octroie pour la première fois un rôle principal dans un de ses films...

Harry et Eve sont mariés depuis huit ans et se sont décidés à adopter après avoir appris que Eve ne pouvait en avoir. Les choses se compliquent quand monsieur Jordan en charge de leur dossier enquête sur eux afin de savoir s'il ferait de bons parents. Harry se retrouve obligé de raconter la vérité à cet agent, à savoir qu'il est tombé amoureux d'une autre femme, qu'il a épousé après avoir appris qu'elle était enceinte... Ce film est l'un des rares avec des stars à l'affiche. L'épouse "officielle" est incarnée par Joan Fontaine star révélée par Alfred Hitchcock avec "Rebecca" (1940) et "Soupçons" (1941) vue juste avant dans "Ivanhoé" (1952) de Richard Thorpe et "Othello" (1952) de Orson Welles, la seconde épouse est donc interprétée par la réalisatrice elle-même Ida Lupino star du Film Noir qui sera encore vue chez d'autres avec "Ici Brigade Criminelle" (1954) de Don Siegel qu'elle écrit, puis "Le Grand Couteau" (1955) de Robert Aldrich ou "La Cinquième Victime" (1956) de Fritz Lang, puis elle retrouve son acteur de "Le Voyage de la Peur" (1953) pour jour son mari, Edmond O'Brien vu ensuite dans "Jules César" (1953) et "la Comtesse aux Pieds Nus" (1954) tous deux de J.L. Mankiewicz ou plus tard dans "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962) de John Ford ou "Rio Conchos" (1964) de Gordon Douglas. L'agent d'adoption est incarné par Edmund Gwenn acteur récurrent chez Hitchcock avec "The Skin Game" (1931), "Le Chant du Danube" (1934), "Correspondant 17" (1940) et encore "Mais qui a tué Harry ?" (1955) mais dont le rôle le plus populaire reste dans "Le Miracle sur la 34ème Rue" (1947) de George Seaton. Citons encore Kenneth Tobey vu entre autre dans "Allez Coucher Ailleurs" (1949) de Howard Hawks, "La Cible Humaine" (1950) de Henry King ou "L'Attaque de la Malle-Poste" (1951) de Henry Hathaway, Jane Darwell actrice aux plus de 200 seconds rôles entre 1913 et "Mary Poppins" (1964) de Robert Stevenson avec des débuts sous la direction de Cecil B. De Mille, plusieurs films avec John Ford dans les années 40 sans compter "L'Impératrice Rouge" (1934) de Josef Von Sternberg ou "Autant en Emporte le Vent" (1939) de Victor Fleming, et enfin n'oublions pas Lillian Fontaine, mère de Joan Fontaine et donc de sa soeur Olivia de Havilland, vue notamment dans "Le Poison" (1945) de Billy Wilder et elle retrouve sa fille après "Le Crime de Madame Lexton" (1947) de Sam Wood... Le titre évocateur pourrait annoncer un mélodrame classique, avec une morale attendue surtout au vu de l'époque dans une Amérique puritaine. Mais la première idée géniale de Ida Lupino est de tourner d'abord comme un Film Noir où on suit un homme qui paraît aux abois, paumé, dans la hantise de se faire avoir tandis que l'enquête avance à vitesse grand V. Puis quand arrive le flash-back on entre dans une autre phase, une sorte de film dans le film, une parenthèse enchantée qui laisse des étoiles dans les yeux avant aussi d'instiller un malaise, une gêne dont on aimerait se défaire.

Le scénario oscille ainsi entre les genres, entres les styles mais c'est aussi pour soigner les contours d'une histoire qui pourrait vite être un énième réquisitoire. Non, Ida Lupino soigne son récit justement pour éviter tout manichéïsme ou jugement hâtif. Les deux femmes sont magnifiquement belles, si elles sont mariées elles sont tout aussi indépendantes, fortes et pourraient aisément se débrouiller sans lui. Lui est un homme fondamentalement bon, sincèrement amoureux des deux femmes, et si on peut facilement déclarer qu'il est un lâche qui ne sait pas choisir il est aussi un homme à responsabilité qui assume deux ménages sans vice ou ni égoïsme. Le film est donc construit de façon à éviter tout jugement facile et unilatérale, l'homme reste sincère jusque dans son indécision, les deux femmes restent dignes et compréhensives. Malgré les convenances sociales, ça reste deux couples amoureux. Le plus intéressant c'est aussi toute l'hypocrisie de la société, où l'adultère est toléré mais la bigamie punie. Ida Lupino signe un drame à lecture variable (avec pourtant une partie romance savoureuse), écrit de façon intelligente pur éviter les raccourcis faciles avec un trio d'acteurs fabuleux. Un très bon et beau moment de cinéma.

 

Note :                 

16/20
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T
Vu (en DVD) mais non chroniqué. Effectivement, on compatit avec le trio, où personne n'a vraiment le rôle du "méchant" (même pas l'enquêteur!)... <br /> C'est sûr qu'en 2023 (moins de 50% des couples, même parents, étant mariés?), ce genre d'intrigue peut apparaître un peu datée... La bigamie et la polygamie restent interdites (et tant mieux!), mais l'on peut avoir autant de maîtresses ou d'amant que souhaité sinon souhaitable.<br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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