Les Duellistes (1977) de Ridley Scott
Premier long métrage de Ridley Scott qui va devenir un des plus grands réalisateurs des 50 prochaines années avec plusieurs films cultes ou mythiques en confirmant aussitôt après tout son talent avec "Alien le Huitième Passager" (1979) et "Blade Runner" (1982). Alors qu'il est devenu déjà l'un des meilleurs réalisateurs de spots publicitaires (plus de 200 entre 1968 et 1977) le cinéaste cherche pour son premier film à adapter une oeuvre libre de droit. Après un projet avorté il choisit d'adapter la nouvelle "Le Duel" (1908) de Joseph Conrad, connu pour être l'auteur du roman à l'origine de "Apocalypse Now" (1979) de Francis Ford Coppola. Une nouvelle elle-même inspiré des faits réels autour des soldats Pierre Dupont de l'Etang (Tout savoir ICI !) et François Fournier-Sarlovèze (Tout savoir ICI !) qui se sont battus en duel à une vingtaine de reprises. Alors débutant au cinéma, peu connu le cinéaste économise sur tout, d'abord avec une oeuvre gratuite de droit donc, mais aussi au casting car si il aurait voulu les britanniques Michael York et Oliver Reed il accepte d'engager deux américains encore peu connus mais moins chers et surtout qui permet la participation au financement de la Paramount. Pourtant le budget reste très juste avec moins de 1 millions de dollars ce qui est très limite pour un film historique. Le scénario est signé d'un auteur issu de la télévision exception faite de son scénario pour le film "Les Filles du Code Secret" (1968) de David Greene. Le film reçoit le prix de la Première Oeuvre au Festival de Cannes 1977 alors présidé par Roberto Rosselini... 1800, deux sous-officiers de l'armée napoléonienne, d'Hubert et Féraud se rencontre alors que le premier tente, sur ordre hiérarchique, de dissuader son homologue Féraud de combattre en duel mais la discussion ne se déroule pas de façon courtoise et Féraud force d'Hubert à se battre. Quelques mois après Féraud croise à nouveau d'Hubert et demande réparation. Les deux soldats, qui grimpe les échelons au fil des campagnes, se retrouvent ainsi régulièrement en duel sans vraiment savoir comment leur querelle a pu commencer jusqu'à cette ultime face à face en 1816...
Gabriel Féraud est incarné par Harvey Keitel qui est alors encore peu connu, remarqué dans les premiers films de Martin Scorcese dès ses débuts avec "Who's that Knocking at my Door" (1967) et qu'il retrouvera donc plusieurs fois jusqu'à récemment dans "The Irishman" (2019). Armand d'Hubert est incarné par Keith Carradine, lui aussi encore à ses débuts vu entre autre dans "L'Empereur du Nord" (1973) de Robert Aldrich et "Lumière" (1976) de Jeanne Moreau, puis vu plu tard entre autre avec ses frères dans "Le Gang des Frères James" (1980) de Walter Hill et vu encore récemment dans le magnifique "The Power of the Dog" (2021) de Jane Campion, et retrouve après "Hex" (1973) de Leo Garen et "Nashville" (1975) de Robert Altman sa partenaire Cristina Raines qui était sa petite amie à l'époque. Citons ensuite Alun Armstrong vu dans "La Loi du Milieu" (1971) de Mike Hodges, et plus tard dans "Braveheart" (1955) de et avec Mel Gibson ou "Sleepy Hollow" (1999) de Tim Burton, et retrouve à la même période dans "Un Pont Trop Loin" (1977) de Richard Attenborough son partenaire Edward Fox vu dans "La Bataille d'Angleterre" (1969) de Guy Hamilton ou "Chacal" (1973) de Fred Zinnemann, il retrouve après "Galileo" (1975) de Joseph Losey l'acteur Tom Conti vu tout dernièrement en Albert Einstein dans "Oppenheimer" (2023) de Christopher Nolan, puis retrouve aussi après "Le Grand Sommeil" (1978) de Michael Winner l'actrice Diana Quick vue dans "Max mon Amour" (1986) de Nagisa Oshima ou "La Mort de Staline" (2017) de Armando Iannucci, elle retrouve de son côté après "Nicolas et Alexandra" (1971) de Franklin J. Schaffner ses partenaires Alan Webb vu notamment "Falstaff" (1965) de et avec Orson Welles, "Love" (1969) de Ken Russell et "Les Contes de Canterbury" (1972) de Pier Paolo Pasolini, ainsi que John McEnery qui retrouve aussi ses camarades de "Galileo" (1975) puis après "Roméo et Juliette" (1968) de Franco Zeffirelli retrouve son acteur Robert Stephens vu dans "Cléopâtre" (1963) de J.L. Mankiewicz ou "La Vie Privée de Sherlock Holmes" (1970) de Billy Wilder. N'oublions pas William Morgan Sheppard vu plus tard dans "Cry Freedom" (1987) de Richard Attenborough, "Sailor et Lula" (1990) de David Lynch ou "Star Trek" (2009) de J.J. Abrams, Liz Smith surtout connu au théâtre mais on peut rappeler ses rôles dans "Charlie et la Chocolaterie" (2005) de Tim Burton et "Oliver Twist" (2005) de Roman Polanski, Luke Scott, fils du réalisateur qui le deviendra aussi avec "Morgane" (2016), Pete Postlethwaite qui deviendra un des plus grands seconds rôles britanniques avec entre autre "Le Dernier des Mohicans" (1992) de Michael Mann, "Au Nom du Père" (1993) de Jim Sheridan ou "Usual Suspects" (1995) de Bryan Singer, Albert Finney révélé par "Tom Jones" (1963) de Tony Richardson et vu dans "Le Crime de l'Orient-Express" (1974) de Sidney Lumet, "Big Fish" (2003) de Tim Burton ou "Skyfall" (2012) de Sam Mendes, puis enfin la voix Off du narrateur assurée par Stacy Keach vu auparavant dans "Juge et Hors-La-Loi" (1972) de John Huston ou "Les Flics ne Dorment pas la Nuit" (1972) de Richard Fleischer... Malgré un budget limité le réalisateur va s'appliquer à soigner le réalisme d'abord en s'inspirant du chef d'oeuvre qui l'a précédé, "Barry Lyndon" (1975) de Stanley Kubrick comme l'utilisation de la lumière naturelle et des bougies, puis de tourner en milieu naturel et non pas en studio. Précisons que la grande majorité du tournage a eu lieu en France, majoritairement dans plusieurs châteaux de Dordogne dont le Montpazier où Ridley Scott reviendra pour son non moins excellent "Le Dernier Duel" (2020). Le cinéaste a également pris soin d'engager comme consultant technique Richard Holmes, historien militaire, et si le film reste une fiction le scénario reprend des éléments historiques notamment en prenant comme base la véritable charte entre les deux véritables duellistes :
"Article 1er. Chaque fois que MM. Dupont et Fournier se trouveront à trente lieues de distance l'un de l'autre, ils franchiront chacun la moitié du chemin pour se rencontrer l'épée à la main ;
Article 2. Si l'un des deux contractants se trouve empêché par son service, celui qui sera libre devra parcourir la distance entière, afin de concilier les devoirs du service et les exigences du présent traité ;
Article 3. Aucune excuse autre que celles résultant des obligations militaires ne sera admise ;
Article 4. Le traité étant fait de bonne foi, il ne pourra être dérogé aux conditions arrêtées du consentement des parties. "
Le film débute en 1800, un duel anodin, un ordre hiérarchique, deux soldats de corps et/ou divisions différentes, et voilà qu'en quelques minutes le contexte des deux soldats est posés ainsi que le contexte militaire. Ce qui frappe d'abord c'est le soin apporté à la reconstitution d'époque avec pourtant si peu de moyens. Les décors sont aussi magnifiques qu'austères, passant des paysages de campagnes (militaires ou pas) aux environnements plus modestes et/ou plus funestes (campagne de Russie !). On traverse alors les campagnes napoléoniennes au rythme des duels des deux hommes, soit cinq duels, six années distinctes où on apprend à les connaître et notamment à comprendre qu'ils sont aussi deux facettes de la France d'alors. En effet, l'un est soldats français bon et honnête mais s'avère assez opportuniste pour passer de Napoléon à Louis XVIII, l'autre est un pur pro-Napoléon mais il est un être plutôt abject, ce qui renvoie aujourd'hui à la caricature pamphlétaire de son film révisionniste et donc à oublier "Napoléon" (2023). Néanmoins, cette facilité ou raccourci est bien le seul petit défaut du film. Ridley Scott signe un premier long métrage absolument magnifique, visuellement juste et immersif, avec deux personnages solidement incarnés par deux acteurs charismatiques tandis que les duels respectent les codes alors en vigueur. Un premier film pour un premier chef d'oeuvre, un film majeur en ce qui concerne l'époque napoléonienne. A voir et à conseiller.
Note :